Talleyrand, les beautés du diable
gobelet, des danseurs de cordes, des feux d’artifice », selon Cadet de Gassicourt, mais qui était également une manière de bois de Boulogne pour les amateurs de sensations fortes, dès la tombée de la nuit.
— Il était conseillé d’abandonner le Prater aussitôt que le soleil avait quitté l’horizon car en quelques minutes des myriades d’insectes importuns s’en emparaient, raconte encore Cadet. Ils fondaient sur les promeneurs comme des nuées, ils les piquaient, les dévoraient. Mais ils étaient comme une police céleste car sans eux l’amour aurait fait trop de ravages au Prater pendant le crépuscule...
Prater ou non, en venant prendre ses quartiers d’exil en Autriche, la duchesse de Courlande ne s’attendait certainement pas à trouver son vieil amant dans un tel état d’abattement. Aussi, on imagine sa colère quand elle apprit que c’était sa propre fille qui était à l’origine de cette grosse déprime. Sa propre fille que Charles Maurice avait autrefois fait sauter sur ses genoux et qu’il caressait maintenant comme un vieux libidineux. Et elle s’était laissé faire, la dépravée !
Décidément, parmi ses quatre filles, Wilhelmine, Pauline, Jeanne et Dorothée, il n’y en avait pas une pour racheter l’autre !
Devant les assauts virulents de la duchesse de Courlande, Charles Maurice ne put que prodiguer les plus hypocrites et les plus tendres protestations.
Ce qui ne fut pas du goût de Dorothée II qui, agacée par cette espèce de « revenez-y » que le vénérable plénipotentiaire semblait vouloir vivre avec sa mère, oublia un instant le beau Clam pour venir marquer son territoire au palais Kaunitz.
À la plus grande joie de Talleyrand qui s’en trouva subitement rajeuni et au plus grand désespoir de la duchesse de Courlande qui se lamenta d’avoir chauffé une vipère en son sein.
Et puis il y eut Waterloo, la dernière bataille de l’Empereur.
Une défaite, aussi, pour Charles Maurice qui rentrera seul à Paris, sans cette nièce dont il ne pouvait décidément plus se passer. La fantasque jeune femme avait en effet décidé d’aller retrouver son beau major à Berlin où cantonnait son régiment.
Souvent femme varie, bien fol est qui s’y fie...
Le congrès de Vienne s’était achevé au mois de juin. Le prince de Bénévent l’avait gagné : la France conservait ses frontières historiques, elle n’était soumise à aucune indemnité et Louis XVIII allait retrouver son trône.
Et le 7 juillet, il était de retour rue Saint-Florentin.
— Je vais y retrouver une existence paisible, soupira-t-il. Cette manière de vivre toujours hors de chez moi est contre tous mes goûts et contre mon usage...
Paisible ? voire. Il apprit bientôt que contre toute attente la fantasque Dorothée II – la jeune duchesse de Dino – s’apprêtait à débarquer dans la capitale !
Ainsi, elle l’aimerait plus que Clam-Martinitz ? Ainsi donc, la jolie proie venait enfin se jeter dans sa gibecière ?
Non. Ce fut sur la croupe du cheval d’un cosaque et derrière le cosaque lui-même qu’elle se jeta, dit-on, toute déchaînée pour aller admirer l’entrée des souverains alliés à Paris et laisser éclater son enthousiasme.
Il est heureux que Chateaubriand, devenu sinistre, n’ait point eu vent de cette folie de la duchesse follette. Il en eût sans doute été fort atterré.
Tout comme Charles Maurice.
Non parce que la fantasque jeune femme s’était livrée à cette fantaisie qui avait scandalisé l’ensemble de la vieille noblesse compassée, mais parce que, à peine sautée au bas de la monture russe, elle en avait chevauché une autre qui galopait vers Vienne, vers le chemin du lit de son jeune amant pétillant.
Alors Talleyrand est devenu « séché, languissant et abattu », pour reprendre l’expression du chancelier Pasquier.
— Quand on songe que la France faillit pâtir des émotions trop fortes qu’une jeune nièce donnait à l’homme d’État le plus considérable et le plus glorieux de l’Europe, raconte André Germain. Car après des dizaines d’années de nonchalant labeur, de persévérantes intrigues, le lion ou plutôt le renard amoureux s’abandonna. Il ne savait plus se défendre aux Tuileries, les complots d’antichambre l’ébranlaient ; les souverains alliés, dont dépendaient nos frontières, ne l’écoutaient plus. Le plus puissant de tous, le tsar, qui avait vu de si près, à cheval, la belle
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