Talleyrand, les beautés du diable
Dorothée, ne témoignait plus à l’oncle aucun égard. Ah ! Dorothée, vous aviez, décidément, mis votre oncle-archevêque-amant dans un joli état ! Et la France, par-dessus le marché, dans de beaux draps !
Et le 20 septembre il toucha le fond.
Parce que c’est ce jour-là que Louis XVIII lui annonça que son ambition était de former un nouveau ministère.
Et sans l’évêque d’Autun !
— Ah ! soupira-t-il ce soir-là auprès de Dorothée I qui semblait avoir repris la main, j’ai passé trente ans de ma vie sans penser à autre chose qu’à ce qui pouvait être utile à mon pays. Maintenant je vais m’occuper de mes intérêts que j’avais totalement négligés.
L’horrible menteur !
Est-ce que pendant les négociations viennoises il n’avait pas touché 800 000 francs de Murat qui avait cherché à l’amadouer quand il se sentait menacé ? Six millions du roi de Saxe, prisonnier à Berlin et qui estimait que sa libération n’avait pas de prix ? Un million du margrave de Bade, qui mendiait un appui, et quatre autres du roi de Naples, Ferdinand IV, qui voulait assurer son trône bancal ?
Il fut un peu plus anéanti encore en apprenant que son successeur à la présidence du Conseil et au ministère des Affaires étrangères n’avait pu – n’avait su – éviter le pire en signant le deuxième traité de Paris. Quel déchirement, en effet, de constater que tous les efforts du congrès de Vienne s’en allaient à vau-l’eau du Danube ! Que le royaume allait se réduire à ses frontières de 1790 ; que Nice et la Savoie seraient subtilisées, qu’un nouveau tracé s’imposerait pour les limites septentrionales ; que l’on allait perdre Sarrelouis, Sarrebrück, Marienbourg, Bouillon, Philippeville et Landau...
Et qu’il allait falloir payer une indemnité de sept cents millions !
Son successeur auprès de Louis XVIII s’appelait Armand Emmanuel Sophie Septimanie Du Plessis, il était duc de Richelieu.
Charles Maurice avait bien connu son grand-père, autrefois, à l’époque où la grande et vraie monarchie agonisait lentement sans s’en rendre compte. Cet homme-là – neveu du cardinal-ministre de Louis XIII – avait été un courageux maréchal de France... et un grand amoureux, lui aussi.
Quand on songe qu’à quatre-vingt-quatre ans, en 1780, il avait encore trouvé le moyen de se remarier à madame de Rothe !
— Vous avez l’air bien songeur, monsieur le Duc, lui avait-on fait remarquer, à la veille de cet étonnant mariage.
— Eh bien oui, je le suis ! Et on le serait à moins, non ! J’ai quatre-vingt-quatre ans et la future maréchale n’en a que trente-cinq !
— En effet, monsieur le Duc, et comment allez-vous vous sortir de cette situation ?
— En sortir n’est rien...
Cela étant, il paraît que la jeune mariée fut tout à fait satisfaite de son mari.
À tel point même que, croisant un matin Richelieu dans un couloir de Versailles, Louis XVI – qui savait être taquin – lui avait lancé :
— Mes compliments, monsieur le Maréchal, je viens d’apprendre que la duchesse serait grosse !
— Tiens ! répondit alors le sémillant vieillard spirituel autant que libertin. Non, non, je ne sais pas... du moins ne m’en a-t-on point informé... À moins que ce ne soit d’hier soir ou de ce matin...
Son petit-fils, Armand Emmanuel, un émigré de la première heure passé au service du tsar et devenu successeur de Charles Maurice à la présidence du Conseil de Louis XVIII, était de son côté fort épris de madame Bernadotte, la reine de Suède, la fameuse Désirée Clary que le général Bonaparte avait un jour imaginé épouser.
Le grand monde est vraiment tout petit !
À l’origine Richelieu avait été marié sur médaillon.
Entendez par là que, quand il fut âgé de seize ans, son vieux gaillard de grand-père lui avait présenté une miniature peinte sur ivoire et figurant une fillette à peine nubile.
— N’est-ce pas qu’elle est belle comme un coeur, cette demoiselle que vous allez épouser ? lui avait demandé son aïeul. Elle se prénomme Adélaïde-Rosalie. Et non seulement elle est charmante, mais comme elle est née Rochechouart, elle possède un beau blason et elle est riche, très riche !
— Oui, grand-père. Bien, grand-père...
Hélas pour le ministre de Louis XVIII en puissance, sa fiancée ne ressemblait en rien à un croquant tendron. Elle n’était belle que... vue de
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