Tarik ou la conquête d'Allah
œil l’arrivée
d’infidèles qui pourraient saccager leurs églises. L’exarque le rassura. Les
siens, cela remontait à des dizaines d’années, avaient été consternés en
apprenant la prise du Tombeau du Christ par le calife Omar. Mais celui-ci
n’avait pas chassé les Chrétiens de Jérusalem et les avait autorisés à
pratiquer leur culte. De plus, insinua Julien, sa présence aux côtés de Tarik
rassurerait les Wisigoths.
Agacé par l’assurance de son
interlocuteur, Tarik Ibn Zyad décida de reprendre l’avantage :
— Julien, tu m’as parlé
d’Akhila et de ses nobles. Je puis, moi, te dire que d’autres verront notre
arrivée d’un bon œil.
— Qui donc ? Auriez-vous
installé des colonies d’Ismaélites de l’autre côté du détroit ? Si tel
était le cas, je le saurais.
— Non, je veux parler des
Juifs. Ils sont cruellement persécutés. Certains d’entre eux ont trouvé refuge
ici à Tingis où ils vivent en paix. Leurs coreligionnaires restés sur place le
savent et ils préfèrent le joug que tu leur imposeras au sort pitoyable qui est
le leur actuellement.
— Cessons de nous duper l’un
l’autre. L’heure est venue de prendre une décision. Tarik, es-tu prêt à
m’aider ?
— Oui.
— Ta fortune est faite. Tu
pourras partir vers la Nigritie.
— Et toi être rappelé à Constantinople
pour recevoir force récompenses car tu auras redonné à ton maître les provinces
perdues par ses prédécesseurs. Car Akhila devra prêter serment à ton souverain.
C’est ce que tu as exigé de lui, ne mens pas, mes espions m’ont révélé le
contenu de vos conversations.
— Je constate que tu es bien
informé : à mon retour à Septem, certains devront me rendre des
comptes ! Ce que j’exige de mon neveu est normal. Ces terres nous
appartenaient jadis. La justice veut que mon empereur les récupère.
— Si elles te tentent tant, je
n’y vois pas d’inconvénient. Moussa Ibn Nosayr surveille mes faits et gestes et
est opposé à toute nouvelle conquête. Je n’ai pas l’intention de lui désobéir
pour l’instant en occupant l’Ishbaniyah. Par contre, rien ne m’interdit de te
prêter main-forte puisque nous avons jadis conclu un traité d’amitié en bonne
et due forme.
— Je suis heureux, dit Julien,
que tu aies compris où se trouvait ton intérêt.
— Pourtant, ironisa le Berbère,
un doute me taraude. Je suis musulman et tu es chrétien. Nos princes sont
ennemis. Comment puis-je te faire confiance ? Qui me dit que tu
respecteras jusqu’au bout tes engagements ? Après avoir renversé Roderic,
tu pourrais être tenté, avec l’aide de tes frères chrétiens, de me massacrer,
moi et mes troupes.
— Je m’attendais à cette
objection de ta part. Tu n’as pas à te méfier de moi. En signe de bonne
volonté, je te laisserai en otage ma femme, Toda, ainsi qu’une grosse somme
d’argent. Ces gages précieux seront les garants de ma loyauté.
— À ces conditions, je mets à
ta disposition et à celle de ton neveu sept mille hommes. Laissons à nos
officiers le soin de préparer cette expédition.
Après le départ des Chrétiens, Tarik
eut une longue discussion avec Mughit al-Roumi. Ce dernier lui reprocha d’avoir
trop cédé à Julien et de sous-estimer la haine qu’il portait aux Musulmans.
Mughit était en outre furieux que son supérieur ne l’ait pas associé à toutes
ses décisions et insinua perfidement, comme si cela ruinait tout le
projet :
— Julien est peut-être sincère
mais qu’en est-il d’Akhila ? A-t-il réellement fait appel à nous ?
— Je l’ai rencontré il y a une
lune de cela. Je ne voulais rien te dire sans avoir reçu Julien. Akhila, en
échange de notre aide pour renverser Roderic, m’offre la totalité du butin pris
à ses ennemis. Mieux, il ne bougera pas si j’attaque Septem et si j’en chasse
les Grecs.
— Impossible. Il doit épouser
la fille de Julien.
— C’est là la faute principale
commise par l’exarque. Crois-tu qu’un fils de roi puisse accepter une fille
flétrie pour épouse ? Le jeune prince a été humilié qu’on lui offre les
restes laissés par Roderic. Il m’a confié qu’il refuserait de se marier avec
cette catin même s’il l’a jadis aimée. S’il le faut, il tuera le père, nous
évitant ainsi d’avoir à le faire.
— Une fois installé sur le
trône de ses aïeux, il te renverra à Tingis en te conseillant de partir pour
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