Tarik ou la conquête d'Allah
associer
de près à ses projets. Tarik Ibn Zyad les reçut avec, à ses côtés, Mughit
al-Roumi, qui fit office d’interprète. Pendant des heures, les deux gouverneurs
échangèrent politesses et banalités. L’exarque félicita son hôte pour sa
tolérance envers les chrétiens de sa ville, une opinion que Paulus eut le bon
goût de ne pas contredire même s’il enrageait intérieurement. Le chef berbère,
lui, remercia le Grec pour les convois de blé et d’huile qu’il lui faisait
parvenir régulièrement, conformément à leurs accords. Des rafraîchissements
furent servis. Durant cette pause, les hommes parlèrent chevaux ou femmes et se
plaignirent amèrement du peu de considération que leur manifestaient leurs
supérieurs, des incapables entourés d’une clique de courtisans et de
bureaucrates. Il se faisait déjà fort tard quand Julien se décida à aborder les
questions sérieuses :
— Tarik, tu as devant toi le
plus malheureux des hommes et des pères. Ma fille a été déshonorée par Roderic,
le roi des Wisigoths. Il me coûte de t’en faire l’aveu mais je suis venu
solliciter ton aide pour venger cet affront.
— Je suis au courant de ton
infortune.
— Comment ?
— Moi aussi, j’ai des
informateurs à Septem. C’est de bonne guerre puisque Paulus te renseigne sur la
situation à Tingis. Évêque, ne proteste pas ! Je ne suis pas dupe de tes
manigances avec Aurelius. Tu agis pour le bien de tes ouailles et tant que tu
te limiteras à cela, tu n’as rien à craindre de moi.
— Je n’ai donc pas besoin,
grommela Julien, de t’en dire plus long sur le sort de ma fille.
— Non et c’est préférable. Ce
Roderic mérite une bonne leçon. Dans nos tribus, nous réservons les supplices
les plus raffinés à ce type de criminels et la mort, qui tarde à venir, leur
est une délivrance après ce qu’ils ont enduré.
— Je désire me venger en
portant la désolation dans le royaume des Wisigoths. C’est une région, m’a-t-on
dit, à laquelle tu t’intéresses puisque tu y as envoyé récemment des
éclaireurs.
— C’est vrai, répondit Tarik,
et j’ai été très satisfait du butin qu’ils ont rapporté.
— Ce pays nous a jadis
appartenu, fit Julien, et mon maître a des droits sur lui.
— Je pourrais être tenté
désormais de faire valoir les miens.
— Moussa Ibn Nosayr t’en
empêchera. À ses yeux, tu es un simple fonctionnaire. Mais il pourrait bien
changer d’avis si tu devenais riche.
— Comment le pourrais-je ?
Tingis et sa région ne valent rien. Sans ton blé et ton huile, nous en serions
réduits à périr de faim.
Sous l’œil amusé du wali, Julien se
lança dans un long panégyrique des richesses de la Nigritie, d’où Rome tirait
jadis de l’or et des bêtes sauvages pour les jeux du cirque. Constantinople
disposait d’autres sources d’approvisionnement en métaux précieux et ne
souhaitait pas reprendre ce commerce pourtant fort lucratif.
L’évêque Paulus, pour une fois bien
inspiré, fit étalage de son érudition. Il possédait une riche bibliothèque et
raconta que des chroniqueurs carthaginois avaient mentionné un périple accompli
par l’amiral Hannon très loin au Sud durant lequel il avait amassé des
quantités faramineuses d’or. Sertorius confirma l’anecdote. C’était, selon lui,
une légende connue de tous les paysans puniques de Byzacène.
Tarik les laissa parler et fit mine
de réfléchir avant de déclarer sur un ton peiné :
— Julien, tu m’as déjà parlé à
plusieurs reprises de cette idée. Je t’ai toujours écouté avec attention et
envie. Puisse Allah, le Tout-Puissant et le Tout-Miséricordieux, m’accorder un
jour les moyens de partir vers de telles contrées ! Mais il faut beaucoup
d’argent pour monter une telle expédition et les caisses de mon trésor sont
vides.
— Je puis t’aider. Si tu
acceptes de me fournir des soldats pour envahir le royaume de Roderic, je
t’offre en retour le quart du butin et tu auras donc assez d’argent pour
t’emparer du pays des Noirs.
— J’en veux la moitié.
— Tu es bien exigeant !
— Tu veux venger ta fille.
Serais-tu prêt à marchander le prix de son honneur ?
Tarik était bien décidé à faire
durer la négociation et à donner le change quant à ses intentions réelles tout
en glanant le plus d’informations sur l’Hispanie. Il expliqua à Julien que les
Chrétiens de ce pays verraient sans doute d’un mauvais
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