Tarik ou la conquête d'Allah
de fâcheux ne leur
arriverait s’ils tenaient leur langue. Les intéressés ne se firent pas répéter
deux fois cette injonction tout en maudissant les étranges méthodes de leur
vénérable pasteur.
Julien redoutait une seule exigence
de Tarik : qu’il participe avec ses troupes à l’expédition. Dans ce cas,
il aurait dû prévenir Constantinople de ses intrigues et ses ennemis à la cour
n’auraient pas manqué d’exploiter contre lui son initiative qu’aucune
considération militaire ou diplomatique ne justifiait. L’exarque fut rassuré
d’apprendre que les Ismaélites ne souhaitaient pas, du moins dans un premier
temps, sa présence en Hispanie. Son désir de venger l’honneur de sa fille le
pousserait à des excès qui, lui dit-on, compromettraient les chances de rallier
les opposants à Roderic. De plus, mieux valait ménager les susceptibilités de
certains nobles wisigoths, réticents à voir les Byzantins revenir dans leurs
anciens domaines. Julien eut l’intelligence d’en convenir. L’important, à ses
yeux, était qu’Akhila monte sur le trône et épouse Florinda. À ce moment-là,
Wisigoths et Byzantins se retourneraient contre les Arabes et écraseraient
jusqu’au dernier cette engeance maudite.
La perfection de ce plan, qui ôtait
toute responsabilité directe à l’exarque, le comblait d’aise. Il remplit donc
scrupuleusement ses obligations envers Tarik Ibn Zyad. Elles consistaient
essentiellement à lui fournir les moyens de traverser le détroit. Dès le retour
de la belle saison, la flottille grecque stationnée à Caesarea appareilla en
ordre dispersé. Seuls quelques navires furent autorisés à mouiller à Septem.
Les autres furent dirigés sur Tingis. Leurs équipages, désœuvrés, passaient des
journées entières dans les tavernes du port où, grâce à la permission
exceptionnelle accordée par le wali, le vin coulait à flots. Les marins furent
enchantés de l’accueil qui leur était réservé et ne parurent guère choqués de
se mettre au service d’un Infidèle. Les questions religieuses dépassaient leur
entendement. La simple expression d’un scrupule aurait pu leur valoir au mieux
quelques dizaines de coups de fouet, au pis la mort. Mieux valait donc faire
bombance et s’abstenir de songer au lendemain.
Assuré du soutien logistique des
Grecs, Tarik Ibn Zyad déployait une activité débordante. Sept mille Berbères,
venus des montagnes environnantes, constitueraient l’essentiel du contingent
appelé à débarquer en Ishbaniyah. Cinq mille hommes supplémentaires, placés
sous le commandement de Mughit al-Roumi, viendraient les rejoindre le moment
venu. Les très rares officiers et soldats arabes présents à Tingis furent, eux,
envoyés en expédition pour mâter une révolte dans le Sud. Tarik craignait que
l’un d’entre eux ne prévienne Moussa Ibn Nosayr de ce qui se tramait.
Parfois, quand le temps était clair,
de la terrasse surplombant sa résidence, Tarik Ibn Zyad pouvait apercevoir les
côtes d’Ishbaniyah et humer le parfum capiteux qui s’en dégageait. Il lui
tardait d’y prendre pied pour vérifier l’authenticité du rapport de Mughit et
d’Isaac le Juif qu’il consultait fréquemment pour peaufiner son plan de
campagne. L’homme répondait à toutes ses questions avec un luxe incroyable de
détails et ses suggestions ne manquaient pas de sagesse.
— Dès que tu débarqueras,
avait-il dit au gouverneur de Tingis, tu devras attirer l’armée wisigothe dans
un piège et l’écraser. Cela ne te sera pas difficile car Akhila et les siens
abandonneront, j’en suis sûr, Roderic au milieu de la bataille pour se ranger
sous ta bannière. Les autres nobles, je les connais bien, n’auront alors qu’une
idée : rentrer chez eux pour protéger leurs biens et leurs familles. Ils
ne tarderont pas à t’envoyer des émissaires pour te proposer leur soumission
moyennant certaines garanties que tu auras l’intelligence de leur accorder.
Laisse-leur, dans un premier temps du moins, leurs vastes propriétés et tu
trouveras en eux les auxiliaires les plus précieux. Crois-moi, si nous autres
Juifs sommes accusés d’avoir vendu celui qu’ils tiennent pour leur Messie pour
trente deniers, tu verras que Judas a bien des émules chez les Chrétiens.
— Admettons que j’écrase
Roderic dès la première rencontre. Où dois-je me diriger ensuite ?
— Ne t’embarrasse pas de tes
arrières. Mes coreligionnaires, trop heureux de
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