Tarik ou la conquête d'Allah
ostensiblement à
l’écart des conciliabules qu’il eut avec ses principaux conseillers dont l’avis
fut unanime : le wallad [61] devait rentrer sur-le-champ à Kurtuba pour faire valoir, si besoin était, ses
droits. Le 1 er djunda I er 172 [62] , il fit son entrée
dans sa capitale dont la population, convoquée deux jours auparavant sur
l’esplanade jouxtant la grande mosquée, lui avait déjà prêté serment
d’allégeance. En tête du cortège venu à sa rencontre, chevauchait, monté sur un
pur-sang, Abdallah, entouré d’une foule de courtisans obséquieux. Les deux
frères échangèrent une accolade furtive et gagnèrent, sous les acclamations du
peuple, le Dar al-Imara, où ils eurent un entretien plutôt orageux.
— Ne crois pas, fit Hisham, que
je sois un seul instant dupe de ton attitude. Tu feins de te comporter en loyal
sujet afin de t’attirer les sympathies de la populace. Tu as dépêché auprès de
moi Amr Ibn Zyad, tu aurais mieux fait de l’envoyer auprès de notre aîné dont
je constate et déplore l’absence.
— Noble seigneur, Suleïman est
resté à Tulaitula à ma demande. Tu n’es pas sans savoir que la population n’est
pas favorablement disposée à notre égard. Tout comme moi, il veille sur tes
intérêts et ta suspicion récompense mal notre dévouement.
— Ne te donne pas autant de mal
pour dissimuler tes sentiments, tu ne sais pas mentir. Tu rêves de prendre ma
place et tu attends le moment le plus propice pour le faire. Notre défunt père
n’a jamais partagé son autorité et j’entends agir de même. Je veux bien
admettre que tu as fait ton devoir. Continue dans cette voie et regagne donc
Balansiya sur-le-champ pour y exercer tes fonctions de wali tant que je jugerai
bon de te maintenir à ce poste.
Ulcéré, Abdallah rejoignit Suleïman
à Tulaitula vers laquelle convergeaient tous les mécontents. Au premier rang de
ceux-ci se trouvaient les Arabes syriens d’Ishbaniyah pour lesquels le fils
aîné d’Abd al-Rahman était l’héritier légitime, non seulement du fait de son
droit d’aînesse, mais aussi parce qu’il avait vu le jour en Orient où il avait
vécu jusqu’à l’âge de dix-huit ans. C’est à ce moment-là seulement que son
père, après avoir assis son autorité sur l’ensemble de ses nouveaux domaines,
l’avait fait venir à Kurtuba. Hisham, lui, était né à al-Munakab, quelques
jours avant la victoire remportée par son père sur les troupes d’al-Fihri. Aux yeux
des Arabes shamiyun, très fiers de leurs origines, il n’était pas l’un des
leurs et ces redoutables guerriers se moquaient ouvertement de son goût pour
l’étude. Ils enrageaient d’être commandés par un homme chétif qui savait à
peine manier l’épée et la lance.
Suleïman fit bon accueil à son cadet
et combla de cadeaux ses partisans, leur offrant de nombreux domaines dans
cette région réputée pour sa richesse. Des réjouissances interminables
marquèrent leurs retrouvailles et, tout occupés qu’ils étaient à festoyer alors
que la saison froide battait son plein, les deux hommes relâchèrent leur
vigilance. Un matin, leurs officiers les prévinrent que la ville était cernée
par les troupes d’Hisham. Bravant la pluie et la neige, la garde personnelle de
l’émir, des djunds yéménites et de nombreux contingents berbères avaient
convergé, à marche forcée, vers la cité rebelle et dressé le siège devant elle.
Suleïman et Abdallah étaient pris au piège. Le sahib al-suk [63] de Tulaitula, d’une voix tremblante, les informa, qu’il disposait d’à peine un
mois de réserves dans ses entrepôts. Passée cette date, les greniers seraient
vides. Il était illusoire d’attendre du ravitaillement en provenance de
Balansiya. Les habitants ne reconnaissaient plus l’autorité d’Abdallah, leur ancien
wali, qui avait levé sur eux des taxes trop lourdes pour financer ses
entreprises. Dans l’ancien palais des rois wisigoths, les deux fils d’Abd
al-Rahman tinrent de longs conciliabules. Le cœur empli d’amertume, ils se
résignèrent à recevoir un émissaire d’Hisham. À leur grand étonnement, Amr Ibn
Zyad se présenta devant eux :
— Tu es très habile, grinça
Suleïman. Tu as jadis su gagner la confiance de mon père et je suppose que
c’est sur son ordre que tu t’es introduit auprès de moi et que tu m’as abreuvé
de tes sages conseils.
— Je n’ai eu qu’un seul
souci : te protéger contre ton principal
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