Tarik ou la conquête d'Allah
parcourir ces contrées mystérieuses. J’aimais
voyager. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Il m’est interdit de retourner dans
mon Orient natal car, en tant que prince omeyyade, j’y risque la mort. Je n’ai
envie que d’une chose, savourer les plaisirs de l’existence. Tingis est une
ville plaisante et j’y ai acheté la somptueuse demeure d’un aristocrate
chrétien qui désire aller vivre en Ifrandja.
Abdallah, lui, avait choisi de
gagner Kairouan à l’invitation de son gouverneur, Ibrahim Ibn al-Aghlab.
Celui-ci avait rompu avec le calife de Bagdad et avait besoin d’un guerrier
expérimenté pour prendre la tête de son armée au cas où le souverain abbasside
tenterait de reconquérir sa cité. Il avait donc engagé, moyennant plusieurs
milliers de pièces d’or, le jeune prince dont la réputation avait traversé les
mers. Ce qu’ignorait Amr Ibn Zyad, c’est que le poste offert à l’exilé était
jusque-là occupé par Matruh, le fils de Suleïman Ibn Yakzan Ibn al-Arabi,
l’homme qui avait voulu jadis livrer Sarakusta aux Francs. Contraint de céder
la place, Matruh décida de revenir en Ishbaniyah dans l’espoir de rallier à sa
cause les anciens partisans de son père. Il s’empara de Washkha [64] puis de Sarakusta
avant d’être assassiné par l’un de ses officiers auquel il avait refusé un lot
de captives. Le meurtrier, un Yéménite, du nom de Saïd Ibn al-Hussein
al-Ansari, pilla et dévasta les territoires qu’il contrôlait. Toutes les armées
envoyées contre lui échouèrent à le capturer. Connaissant admirablement la
contrée, il n’avait pas son pareil pour échapper à ses poursuivants et se
réfugiait dans les montagnes où il avait aménagé des repaires quasi
imprenables. Envoyé par Hisham pour installer le nouveau wali de Sarakusta, Amr
Ibn Azim Ibn Zyad ne mit pas longtemps à découvrir que son adversaire
bénéficiait de complicités au sein de la population locale, principalement chez
les muwalladun, qui s’estimaient injustement traités par les autorités de
Kurtuba réticentes à nommer les plus illustres d’entre eux à des postes de
responsabilité. De retour dans la capitale, le chef berbère demanda audience à
l’émir :
— Noble seigneur, je ne vois
qu’une solution pour te débarrasser définitivement de Saïd Ibn al-Hussein
al-Ansari.
— Laquelle ?
— Confier le commandement de
tes troupes à un muivallad [65] .
— Ce sont nos frères en Allah,
certes, mais depuis si peu de temps que je n’ai guère confiance en eux.
— Le Prophète, sur Lui la
bénédiction et la paix, se comportait différemment.
— Oserais-tu blasphémer, toi
dont je connais la piété ? L’Envoyé de Dieu ignorait tout des Nazaréens de
ce pays !
— Tu m’as mal compris. Parmi
les Arabes, rares furent ceux qui, dès les premiers jours, acceptèrent de le
suivre. Tes ancêtres s’opposèrent à lui jusqu’à ce qu’ils soient gagnés à la
vraie foi. Il en fut de même pour mes aïeux. Certains étaient juifs, d’autres
chrétiens, la plupart adoraient des divinités païennes. Pourtant, si tu règnes
sur ce pays, tu le dois à Tarik Ibn Zyad, dont le grand-père avait renoncé à
ses croyances absurdes pour professer le nom d’Allah. C’était un Berbère et non
un Arabe et tes ancêtres n’accordaient guère de crédit, au début, aux nouveaux
convertis. Depuis, Arabes et Berbères s’estiment être les seuls vrais Musulmans
et se défient de ceux qui acceptent de reconnaître Allah comme le seul Dieu.
C’est une erreur. Songe qu’en faisant crédit à un muwallad, tu gagneras à ta
cause tous ses frères.
— As-tu quelqu’un à me
proposer ?
— Oui. Il s’agit de Musa Ibn
Fortun Ibn Kasi. Tu ne pourras me soupçonner de vouloir placer l’un de mes amis
car, entre sa famille et la mienne, il existe un vieux contentieux. Son
grand-père fut le premier aristocrate wisigoth à devenir musulman sous le nom
de Saïd Ibn Kasi. Il épousa Florinda, la fille du gouverneur grec Julien, qui
lui donna deux enfants, un fils, Othman, et une fille, Latifa, laquelle se
trouve être ma mère. Othman, le père de Musa, n’a jamais accepté le mariage de
sa sœur avec mon père, qu’il considère comme une mésalliance, et son fils
partage ses préjugés. En effet, mon arrière-grand-mère Égilona, veuve du roi
Roderic, avait été réduite en esclavage par Saïd Ibn Kasi.
— J’avais remarqué une certaine
froideur entre vous
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