Templa Mentis

brune aux yeux bleus à c’qu’elle raconte, une dénommée Héluise. De son âge. Elle m’a servi l’même conte.
    — Hum… Elle cherche à vous attendrir avec ses histoires de parentèle, et à vous tirer les vers du nez, affirma Loiselle qui en avait assez appris. Mon conseil, l’ami : défiez-vous de la donzelle et ne lui contez rien qui puisse se retourner contre vous. Espionne du bailli ou pas, vous avez belle raison : elle n’est pas franche de garrot. D’ailleurs, pour quelle raison une femme qui se prétend de belle tenue traînerait-elle d’auberge en auberge sinon pour fouiner, ourdir un sale coup ?
    L’autre, que l’ébriété avait gagné au point de faire ressurgir toute l’aigreur de son tempérament de bile, continua à ressasser, à tirer moult conclusions des paroles de sa cliente. Loiselle ne l’écoutait plus que d’une oreille, opinant du bonnet et se contentant maintenant d’onomatopées et de bruits de gorge.
     
    La belle et jeune rouquine cherchait Héluise Fauvel, comme lui. Pour le compte de l’Inquisition ? Du roi ou plutôt de son conseiller, M. de Nogaret ?
    Sa mission se compliquait. Néanmoins, l’évêque Foulques de Sevrin l’avait prévenu qu’elle serait ardue. Le prix de sa grâce définitive.
    1 - Désignait une suite importante et un riche équipage.

    2 - Tête du sanglier ou du cochon.

    3 - Deux origines assez convaincantes sont proposées pour cette expression. Le carreau est la flèche utilisée par les arbalétriers. Les gardes « tenaient » donc le carreau » aux doigts pour parer à une attaque. L’autre explication vient des cartes à jouer. On « tenait son carreau », c’est-à-dire que l’on surveillait son jeu en étant sur ses gardes.

    4 - Somme déboursée.

    5 - En ancien français : mouvement circulaire vif, comme une claque. A donné « torgniole ».

    6 - Vaudois ou Pauvres de Lyon, fondée vers 1170 par un riche marchand lyonnais, une des « hérésies » les plus importantes à l’époque, prônant le dénuement et l’égalité de tous, les femmes pouvant être ordonnées. Elle eut un grand retentissement, notamment dans les classes aisées, preuve du malaise religieux de l’époque. Persécutés, les fidèles se fondront dans la masse, d’autres essaimeront en Europe, expliquant le maintien jusqu’à nos jours de communautés, parfois importantes.

    7 - Prostituée qui « exerçait » surtout en maisons closes.

    8 - Les objets fins de métal (aiguilles, agrafes, lames de couteaux, etc.) anglais étaient réputés, donc coûtaient plus cher.

    9 - À nous qui nous plaignons parfois de la réglementation, rappelons-nous qu’elle ne date pas d’hier. Le Moyen Âge jouit (ou subit) d’un nombre colossal de règlements !

XXX
    Alençon, novembre 1306
    L L’évêque Foulques de Sevrin reposa le gobelet d’argent dans lequel lui avait été servi un verre de vin tiède aux épices.
    Il poussa les deux missives qu’on lui avait portées au matin du bout du stylet de nacre et d’argent, utilisé pour décacheter. Amusante coïncidence. Ses deux informateurs lui faisaient part en même temps de leurs avancées, imaginaires dans le cas de Droet Bobert, le maître fèvre, son leurre. Un leurre efficace puisque le sceau de cire qui fermait son message avait encore été soulevé. En revanche, celui que portait la lettre de Michel Loiselle était intact, preuve que ses précédentes missives, en apparence benoîtes, avaient pleinement rassuré l’espion d’Éloi Silage qui se terrait dans l’entourage du prélat. Deux conclusions s’imposaient donc : le code remis à Loiselle fonctionnait à merveille, ainsi que le piège tendu au dominicain, et l’espion se trouvait en permanence au côté de l’évêque, puisque seules les missives de Bobert méritaient maintenant son intérêt, preuve qu’il en reconnaissait l’écriture. Un proche sycophante, donc. Qui ? Son jeune secrétaire pour qui il éprouvait une vague affection ? Quelle importance ? Pour l’instant, aucune. Car cet espion-là lui rendait précieux service en rapportant des informations erronées. L’évêque se faisait fort de découvrir son identité, lorsqu’il n’aurait plus besoin de son aide involontaire. À ce moment, seulement, le dévoué espion d’Éloi Silage ferait une fâcheuse rencontre de rue. Foulques retint un rire satisfait. Silage comprendrait alors qu’il avait été berné tel un benêt, mais ne pourrait le