Templa Mentis

prouver. Jolie fureur en perspective !
    L’évêque savait pertinemment qu’il dansait sur le fil d’une redoutable lame, et ce funambulisme mortel le grisait. Une pensée tempéra aussitôt son humeur allègre.
    Droet Bobert lui relatait ses encourageantes avancées. La « filleule » de l’évêque, dont Silage n’avait pas manqué de comprendre qu’il s’agissait d’Héluise, se dirigeait selon lui vers Bourges et non Poitiers, contrairement à ce qu’elle avait affirmé à un aubergiste d’Orléans. À l’évidence afin de rejoindre le royaume d’Espagne. Droet Bobert se faisait fort de l’intercepter avant.
    Brave Bobert ! Il mentait avec une belle conviction.
    Foulques de Sevrin récupéra la deuxième missive, assombri.
    « Éminence et mon bien cher et très respecté cousin,
    « J’implore Dieu que ma missive vous trouve en belle forme. Que de péripéties je vous dois, mon bien-aimé cousin ! Que de palpitantes aventures, étonnantes rencontres j’aurais à vous conter dès mon retour ! Je vous avoue bien volontiers que ce périple m’aurait débarrassé de la pesante mélancolie qui éteignait mes jours. Mais je sens qu’une question vous brûle la langue. Le retable qui fut volé il y a dix-neuf ans en l’église Saint-Pierre de Monsort 1  ? Grâce à vos fidèles descriptions de cette œuvre de bois sculpté et peint, un triptyque comprenant au centre la Crucifixion, à droite le baiser de Judas et l’arrestation du Sauveur et à gauche la Couronne d’épines 2 , j’ai pu éliminer nombre de fausses pistes. Un notaire de Brou m’a confié l’avoir vu figurer dans l’inventaire d’héritage d’une noble famille de Nogent-le-Rotrou qui, peut-être, l’acheta de bonne foi à un fieffé voleur. Je me rends donc en cette ville où je compte rencontrer une donzelle qui, servant l’héritier de cette famille, me pourrait renseigner, une jeune damoiselle Leroux. La bourse que vous me remîtes avec tant de générosité fondant vite, on m’y a recommandé une auberge de correcte réputation et de prix fort modestes, le Grand-Arroi.
    « Ah, Éminence et mon très cher cousin ! Que d’heures de passion et d’espoir je vous devrai. Quelle fascinante chasse au trésor vous me confiâtes ! Et comme je risque de la regretter lorsque je l’aurais menée à bien. Ne boudons pas notre plaisir tant qu’il dure ! Savourons-le au contraire. Comme il me tarde de voir ce retable enfin restitué à l’autel de Saint-Pierre de Monsort.
    « Votre très dévoué, très respectueux et très affectionné cousin,
    « Antoine de Sevrin. »

    Antoine de Sevrin, son aimable cousin, n’était autre que Michel Loiselle, qui de Brou avait rejoint Nogent-le-Rotrou. Le retable se traduisait par Héluise, une précieuse œuvre d’art âgée de dix-neuf ans. Une jeune femme rousse, logeant au Grand-Arroi, la cherchait également. Pour le compte de qui ? La bourse de Loiselle fondait vite, signifiant que l’évêque devait intervenir pour contrer cette femme au plus preste, preuve que l’ancien secrétaire de notaire suivait la bonne voie.
    Loiselle avait les défauts de ses qualités. D’âme pure, sans doute pensait-il que Foulques achèterait cette rouquine, ou la ferait temporairement jeter en geôle afin de l’annihiler jusqu’à avoir retrouvé Héluise. Cependant, que cette fille travaille pour Éloi Silage ou M. de Nogaret, elle était trop dangereuse. Son élimination définitive s’imposait donc.
    Jamais Loiselle ne truciderait, surtout pas une femme. En revanche, commanditer un meurtre n’étoufferait pas Foulques de Sevrin. Il avait été à l’origine du pire, du plus inexcusable, celui de Jehan Fauvel.
    Cette donzelle n’était qu’une espionne. Les risques du métier.
    Il allait donc devoir offrir la grâce à un autre condamné. Cette fois, un vaurien sans foi ni loi, un tueur sans effarouchement, capable de briser le col d’une inconnue.
    1 - Très ancienne, elle fut construite en face d’Alençon, sur l’autre rive de la Sarthe et détruite au XIX e  siècle.

    2 - Description inspirée du retable de l’abbaye d’Hambye qui se trouve aujourd’hui dans la cathédrale de Grâce de San-Francisco, États-Unis.

XXXI
    Berd’huis, novembre 1306
    H Huguelin avait tant tordu le nez de mécontentement lorsque Druon avait refusé qu’il l’accompagne afin d’examiner la dépouille de Jean Le Chauve que le jeune mire avait cédé. Après tout, le garçonnet