Templa Mentis
sanglots s’ajouta à la sienne.
— Damoiselle Héluise, damoiselle… Mire, mon cher mire, je suis là ! Mon maître aimé, de grâce… Je suis là, je suis là… Pour vous…
Héluise serra l’enfant contre elle à l’étouffer, enfouissant son visage dans son cou, pleurant durant ce qui lui parut une éternité.
Épuisée, elle lâcha le garçonnet et se laissa tomber assise. Il s’accroupit à ses côtés, essuyant avec maladresse les larmes de son visage.
— Euh… Euh… rien n’d… rien ne dit que c’est vérité… enfin, ce que vous a raconté l’évêque au sujet de votre mère.
Druon repoussa sa folle envie de croire toujours en une mère aimante. En dépit de son désespoir, il se contraignit à la lucidité :
— Je crois que si. Je ne comprenais pas le mutisme de mon père à son sujet. Il souhaitait m’épargner. Huguelin, mon bien cher, aide-moi, je te prie, à me relever. Je suis si lasse… las.
L’enfant bagarra avec ce poids trop important pour lui.
— Rentrons. Vois-tu, je viens de grandir. Grandir consiste à accepter les blessures les plus cruelles, accepter les désillusions, faire face à la trahison.
— Je sais tout cela, mon maître, rétorqua avec douceur le petit bonhomme qui avait été vendu par son père pour servir d’esclave dans une auberge et y crever de faim, de froid et de mauvais traitements.
— Hum… le plus enfant n’est pas celui qu’on croit, concéda Druon en se redressant.
XLVIII
Saint-Agnan-sur-Erre, novembre 1306
A Aidé d’Huguelin, Druon tituba jusqu’à la demeure des Leguet. Un épouvantable malaise le déséquilibrait et la nausée ramenait des renvois aigres dans sa gorge. Surtout, une invraisemblable fatigue lui donnait envie de se laisser choir au beau milieu de la rue, de dormir, tel un gueux enveloppé de ses hardes.
Sentant son maître vaciller, Huguelin serrait les dents, s’évertuait à le pousser, le maintenir sur ses jambes, sans prêter attention aux regards curieux que leur jetaient les rares passants qu’ils croisaient, répétant :
— Nous y sommes presque, mon maître, encore un petit effort, nous y sommes presque ! Je vous coucherai, nous y sommes presque. Allez, encore quelques pas.
Le sourire aimable de Blandine Leguet mourut sur ses lèvres lorsqu’elle détailla le visage de fin du monde de son invité.
— Dieu du ciel, on croirait un spectre ! Que se passe-t-il, messire mire ?
— Un… malaise passager. Dame Blandine, avec votre permission… je vais aller m’allonger un peu, bredouilla Druon.
— Si fait, si fait ! Je puis vous faire porter une infusion reconstituante ?
— Ne vous mettez pas en peine. Un peu de repos et tout ira bien.
Druon broncha 1 contre chaque marche de l’escalier qui menait à leur chambre, se tenant fermement à la rambarde, Huguelin le poussant de toutes ses maigres forces.
Enfin, ils entrèrent et le jeune mire s’affala de tout son long sur le lit.
Lorsqu’il s’éveilla d’un sommeil de coma, il lui fallut quelques instants pour se souvenir qu’il se trouvait en la demeure du couple Leguet et de son altercation avec Foulques de Sevrin. Huguelin avait dû rejoindre le rez-de-chaussée afin de le laisser en paix. C’est alors que Druon découvrit la feuille posée à côté de lui. Il la récupéra d’une main encore incertaine et déchiffra l’écriture menue et nerveuse :
« Cher mire,
« Certaines vérités blessent plus cruellement qu’une lame. Je sens votre terrible affliction. Toutefois, le temps vous presse.
« Messire d’Avre est homme d’honneur. Néanmoins, défiez-vous de cet honneur-là. Il ne sert pas vos intérêts. Ni les miens, je vous l’accorde. N’oubliez jamais que le seigneur bailli rend compte à M. Charles de Valois, frère du roi, lui-même maître de messire Guillaume de Nogaret, qui vous fit rechercher dans tout le royaume. Je n’ose imaginer le sort qu’il vous réservait. Vous, votre père, êtes quantité négligeable à leurs yeux.
« La fin approche. Sans encore l’admettre, vous avez déjà percé le mystère, celui qui vous devrait éclairer sur tout le reste. Rendez-vous-y seul.
« Je vous conjure, sur mes dieux et le Vôtre, de n’y voir nulle chauchetrepe. Sur mon âme, je vous l’assure : en dépit de sa tendresse et de son admiration à votre égard, M. d’Avre devra s’effacer et ne vous pourra protéger contre des ennemis infiniment plus puissants que lui. Il sera
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