Terra incognita
longtemps, avait persisté après que Marthe l’avait quittée.
Les rires étaient revenus autour de la table.
Khalil avait dû être hypnotisé sous la montagne pyramide, comme elle, à Héliopolis. Pourquoi ? Pour qu’il ne puisse parler ? lui raconter la vérité ? Était-elle devenue un danger ?
— À quoi songes-tu ? lui demanda Elora dans un sourire avenant par-delà le plateau d’olivier, laissant Lina et Nycola à leur discussion sur les simples de la contrée.
Catarina s’était éclipsée dans la bâtisse de tourbe et de pierre. Quant à Khalil, offert au soleil, il continuait de mâchouiller.
— À la confiance, lui répondit Mounia, l’œil douloureux. C’est important, la confiance…
Sa soudaine tristesse passa inaperçue pour les autres. Pas pour Elora qui avait deviné le cheminement de ses pensées. Elle tendit la main par-delà la table pour recouvrir la sienne.
— Bien moins que de vouloir protéger ceux qui nous sont chers. Parfois d’eux-mêmes, Mounia. De l’amour ou de la confiance, lequel choisirais-tu ?
L’Égyptienne tourna les yeux vers Khalil.
Ses traits s’étaient relâchés, pourtant il souriait, heureux. Comblé.
Alors Mounia comprit.
Elle ramena son regard apaisé sur Elora, emplie d’une vraie tendresse à son égard.
— L’amour, dit-elle en pressant ses doigts pour la remercier.
*
Une semaine passa sur cet échange, les nouant à jamais à cette terre. Nycola plus qu’aucun d’eux, nota Elora en voyant sa complicité grandir avec Lina. Un jour, peut-être, songea-t-elle devant leurs regards gênés, souvent détournés, puis rapprochés par un rire. Il ne laisserait pas Khalil, elle ne laisserait pas ses fils et Catarina. Ainsi étaient parfois les rencontres. Quelques instants d’éternité volés à l’impossible. Elora était certaine qu’ils sauraient l’un comme l’autre s’en contenter. Et, de fait, ils ne s’accordèrent aucun moment d’intimité, privilégiant leur étonnante et exceptionnelle communauté.
Ils cheminèrent ainsi au pas des chèvres, façonnèrent les petits fromages parfumés de thym, apprirent le secret des gnocchis aux herbes sauvages, des galettes à l’anis et des croquants de châtaigne, tressèrent des paniers, ramassèrent les morceaux de roche les plus originaux pour les monter en colliers. Elora enlaça les menhirs pour s’accorder à leur vibration de granit, s’allongea sur la terre pour l’écouter respirer tandis que Nycola découvrait les propriétés de guérison de certaines pierres que Lina lui offrait, que Mounia discutait avec Catarina dans le nuraghe rendormi et que Khalil allait des uns aux autres, tel un cabri refusant d’être sevré. Ils eurent même l’heureuse surprise de la visite des fils de Lina, le dimanche. Ils déjeunèrent tous ensemble, dans le souvenir que Mounia leur avait laissé.
Ce fut un heureux temps.
Oui, vraiment, un heureux temps.
Une rémission entre deux combats.
Car Mounia l’avait compris même si elle ne l’avait pas évoqué davantage avec Elora. Le cauchemar de Khalil prendrait forme, quelque part. Elle seule en écrirait la fin.
Parce que seul l’amour est lumière.
Et que seule la lumière peut trouer l’ombre.
*
Oui, Mounia en était convaincue et confiante en ce 5 juillet, tandis que Catarina la serrait une dernière fois dans ses bras.
Malgré l’inquiétude de Lina.
— Vous ne trouverez pas de marchand pour vous embarquer. Les choses ont changé, Mounia. Ce sont les pirates et les soldats du roi qui tiennent l’île. J’ignore comment vous allez vous en arracher.
— Il ne faut pas t’inquiéter pour nous. Le destin nous guide aussi sûrement que la protection des Anciens, lui répondit Mounia en s’écartant à regret.
— Et puis…, ajouta Elora dans un éclat de rire en enfourchant le mulet au pied du nuraghe, j’ai ma petite idée.
Aucun d’entre eux, tandis que les mains s’agitaient et que les larmes coulaient, n’eut le courage de lui demander de quoi il retournait.
51
Ses chausses rajustées, Mathieu envoya une pièce en l’air d’une chiquenaude du pouce. Elle atterrit lourdement au milieu des draps, sur le lit. La putain qui s’y attardait par le travers et à plat ventre s’en empara avec cupidité et la glissa dans son corsage.
— Tu ne la mords pas, aujourd’hui ? se moqua-t-il en remettant son gilet.
Elle eut un petit rire de gorge qui souleva son imposante poitrine.
— Depuis le
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