Terra incognita

puis grimpa quatre à quatre le raidillon de pierraille.
    Attablée à un matinel tardif, Mounia comme les autres souffraient encore du manque de sommeil. Khalil à l’inverse n’en semblait pas affecté.
    En moins de temps qu’il n’en fallut à sa mère pour se verser un nouveau bol de lait frais, il la rejoignit, plaqua une bise sonore sur sa joue et piqua le morceau de galette qu’elle s’apprêtait à manger.
    — Pardon maman, mais je suis affamé, s’excusa-t-il dans un éclat de rire avant d’aller embrasser le restant de la tablée.
    Personne ne songea à lui reprocher ses mauvaises manières. Ils étaient trop empressés de réponses. Tout au contraire, Elora s’écarta pour lui faire une place sur le banc, à côté d’elle, tandis que Lina remplissait son bol et lui présentait le fromage frais.
    Pendant quelques minutes, il se contenta de manger. Manger, et encore manger, stupéfiant les uns, ravissant les autres, retenus de silence. Puis, la dernière gorgée de lait avalée, il s’adossa contre le mur de la pinnettu, essuya sa bouche auréolée de crème, et croisa les mains sur son estomac bombé, les yeux brillants.
    — Bougre de bougre, Catarina, rien que pour ce festin je ne regrette pas ma nuitée. Pourtant…
    Il les fixa tour à tour d’un air de conspirateur, s’attardant, par jeu, à faire grandir leur curiosité.
    — Vas-tu enfin nous dire ce que tu en as fait ? gronda Nycola dans une fausse colère.
    Khalil éclata d’un rire qui trahissait un bonheur sans faille et dans lequel Mounia se sentit en sécurité.
    — En fait… rien. Je suis entré dans le nuraghe, une porte s’est ouverte dans un des murs et je me suis allongé sur une pierre près d’une source. Je crois que je me suis endormi. Et que j’ai rêvé.
    Un petit cri s’étrangla dans la gorge de Mounia.
    — C’est là, dans cette pièce secrète, que tu as été conçu.
    Khalil pencha la tête de côté, moqueur.
    — Je sais, maman… Je sais tout.
    Elora retint un sursaut qui n’échappa pas à Mounia, écarlate, en face d’elle. Khalil, qui n’avait remarqué que la gêne de sa mère, continuait, fébrile et amusé de son importance.
    — Je les ai vus. Enfin, rêve ou réalité, je les ai vus, tous les douze, immenses autour de moi, baignés de leur aura bleutée. Ils m’ont remercié de les avoir ramenés ici, une dernière fois avant le grand voyage.
    — Inutile de te rengorger, chenapan. Ce n’est pas toi qui en as décidé, le reprit Mounia, pour la forme.
    Khalil haussa les épaules.
    — C’est ce que je leur ai dit, maman. Mais ça n’a rien changé. L’important, c’est de savoir qu’ils sont en paix. Il semble que j’aie fait ce que je devais mais je ne sais pas ce que c’est.
    — Comment ça ? Quand ? s’étonna Mounia.
    — Aucune idée, je te dis. Mais ils m’ont assuré que, le moment venu, je m’en souviendrai et que j’en serai empli de fierté.
    Il enfourna une nouvelle galette.
    — Et toi auffi forfément…
    — Pas la bouche pleine, le gronda cette fois Lina en lui tapant sur les doigts.
    Il hocha la tête, appuya le haut de son crâne contre le mur de pierre derrière lui et ferma les yeux pour mieux savourer.
    Mounia s’attarda sur les traits d’Elora, restée silencieuse jusque-là. Elle semblait soulagée et, curieusement, Nycola aussi à ses côtés. Se sentant dévisagée, la jouvencelle lui sourit avec chaleur.
    — Je reprendrais bien un peu de lait à mon tour.
    Mounia lui passa le pichet, piquée par la curiosité.
    Elle ne voyait qu’un seul endroit susceptible d’abriter un secret qu’Elora et Nycola pourraient partager. Le petit temple de Deir el Medineh. Elle se souvint de l’attaque d’Anubis, puis de sa déception devant ce qu’Elora avait rapporté du sanctuaire sous la montagne.
    — Pas de benben, avait-elle dit. Merlin l’a rapporté dans les Hautes Terres. Quant à la table de cristal qu’il a réussi à copier, nous la trouverons en Avalon, à l’endroit qu’il a indiqué sur cette carte. Nous y pourrons insérer les trois flacons pyramides et connaître enfin l’emplacement exact du passage quand Marthe va mettre des mois à le chercher.
    Marthe, songea Mounia en se remettant à son matinel. Était-ce à cause d’elle qu’on l’avait écartée ? Elora craignait-elle qu’elle lui ait administré un élixir perverti ? C’était possible, en vérité. Mounia se souvenait d’un goût amer en sa bouche qui,