Terra incognita
confié le soin des arrivantes. Les autres la laissaient en paix. Elle avait tout expliqué à Elora, en détail, de ce qui l’attendait.
La jouvencelle n’en avait pas retenu la moitié.
Elle se laissa envelopper dans une serviette. Avança droit devant, vers l’alcôve en plein cintre sur laquelle un banc de pierre invitait à s’étendre. Combien de temps encore devrait-elle se plier à ce rituel ? Les massages, trois depuis son arrivée, s’ils l’avaient détendue la première fois, l’horripilaient à présent, comme si les flux de lumière qui la traversaient supportaient mal d’être contrariés par des pressions inadaptées. Elle n’était pas faite comme les autres. Pouvait attirer ou repousser la foudre, la faire jaillir d’elle en des arcs bleutés. Ou encore étendre le flux d’énergie vitale comme une mer autour d’elle. Prendre. Donner. Recevoir. Transmettre. Comment l’expliquer à cette femme qui mettait tout son cœur à la palper, la malaxer, comme un simple morceau de chair ? Comment lui dire qu’en elle sa puissance réfrénée s’apprêtait à exploser ?
Détachant la serviette, elle s’allongea sur le linge qui recouvrait la pierre. Enfouit son visage dans ses bras repliés. Apaisa en elle la contrariété. Si elle devait passer une journée entière dans cet endroit et dans ces conditions, elle allait devenir enragée.
Une main se posa au creux de ses reins. Instinctivement, elle se durcit sous la pression. Trop ferme, trop posée pour être celle de la métisse. Bayezid ? Ou la Khanoum ? se demanda-t-elle avant qu’un parfum de seringas la fasse opter pour cette seconde possibilité. Délaissant la cambrure de ses fesses, la paume glissa vers ses épaules, emprisonna sa nuque, se referma sous l’abondance de la chevelure. Elora ne bougea pas.
— La rébellion ne sert à rien ici. Moi seule ai pouvoir de juger qui est prête, qui ne l’est pas. Moi seule connais mon fils.
La pression de la Khanoum s’intensifia autour de sa nuque, avant de descendre lentement jusqu’à ses épaules, d’en détacher chaque nervure avec une précision étonnante. Leur tension se relâcha.
— Qui accepte les doigts accepte la loi.
Elora fut sur le point de répondre, mais se ravisa. Soumission, lui avait dit le vieux jardinier. Soumission venait de lui rappeler la Khanoum. Seule option pour s’attacher à ses pas. Elle s’abandonna. Finit par perdre la notion du temps entre ces mains agiles, loin de l’inexpérience de la métisse.
Lorsque le mouvement s’arrêta sur ses pieds, elle le regretta presque, tant une énergie chaleureuse et bénéfique circulait en ses veines.
— Laisse-toi parer, à présent. Je t’attends pour le thé. Nous parlerons. Je déciderai alors si, en dehors de ta grande beauté, tu es digne du vrai regard de mon fils.
Elora la laissa s’éloigner avant de se lever et de s’étirer. Le contact était passé entre elles. Elle le sentait.
Restait à présent l’épreuve de vérité.
*
Une bonne heure s’écoula encore avant qu’elle pénètre dans les appartements de la Khanoum. Avant qu’elle découvre son visage. Altéré par le temps, il gardait une grâce farouche. L’allure de cette femme, debout au milieu de la pièce, rigide de dignité, donna à Elora l’impression d’un if.
Elle s’inclina pour la saluer ainsi que la métisse le lui avait recommandé.
Lorsqu’elle se redressa, la Khanoum souriait. D’un geste léger, elle lui désigna les assises basses des bancs recouverts de coussins colorés.
Elora se posa, sans pour autant la quitter des yeux. Quelque chose d’hypnotique se dégageait d’elle. La Khanoum tapa deux fois dans ses mains. À la troisième, un eunuque se présenta chargé d’un plateau de cuivre. Il le posa sur une table ronde et basse puis disparut derrière un des nombreux voiles de couleur qui égayaient les murs, donnant l’illusion parfaite de les isoler.
La Khanoum s’installa face à elle, puis servit un thé brûlant dans les verres.
— La vapeur ouvre l’âme, expliqua-t-elle en inspirant les parfums poivrés qui s’en dégageaient.
Elora ferma les yeux, laissa les arômes voleter jusqu’à elle. Elle n’obtiendrait ce qu’elle était venue chercher qu’en prenant son temps.
— Parle-moi de toi, à présent, décida la Khanoum.
Elora s’installa confortablement contre les coussins du dossier.
— Je suis fille de Nycola, comte de Petite Égypte sarrasin.
La Khanoum se
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