Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Thalie et les âmes d'élite

Thalie et les âmes d'élite

Titel: Thalie et les âmes d'élite Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
Vom Netzwerk:
adepte de cette activité. Au cabinet de son père, elle n’hésitait plus à recommander l’endroit aux clientes un peu trop enrobées.
    «Nous avons référé des clientes à madame Hardy-Paquet, mais cela ne s’est pas produit dans l’autre sens », songea la jeune femme en descendant au dernier arrêt de tramway.

    Ce qui n’était pas tout à fait vrai. Trois femmes lui avaient signalé, lors de leur consultation, avoir pris sa carte à l’institut.
    Toutefois, les remarques mesquines répétées du docteur Pouliot sur la salle d’attente déserte, lors de ses consultations, commençaient à lui tomber sur les nerfs.
    Thalie devait finir le trajet à pied. Elle marcha sur le bas-côté du chemin Sainte-Foy jusqu’à l’intersection de la rue Salaberry, puis elle s’engagea vers le nord pour se rendre à la courte rue Simard. Le nom lui venait de l’ancien propriétaire du terrain.
    Le
    brave
    homme,
    à
    l’époque
    où
    le
    moteur à explosion demeurait encore une invention dont on cherchait les applications pratiques, y avait érigé des écuries. C’était dans ces anciennes bâtisses que le dispensaire avait ouvert ses portes.
    Le jeune médecin pénétra dans l’édifice un peu décrépit, bâti de briques et de planches, par une porte assez haute et large pour laisser passer un cheval de trait. Chaque fois, cela lui mettait un sourire sur les lèvres. Travailler dans un local de ce genre convenait très bien à sa conception romantique de la médecine.
    — Bonjour, sœur Sainte-Sophie, fit-elle à l’intention de la préposée à l’accueil. Avons-nous une récolte suffisante de malades ce matin ?
    — Comme vous le voyez, le Seigneur est généreux avec nous, répondit la sœur, une douce ironie dans la voix.
    Des yeux, elle désignait une salle aux murs blanchis à la chaux. Une vingtaine de personnes s’alignaient déjà sur les bancs.
    — Bien sûr, Remarqua l’omnipraticienne, ce qui est une bénédiction pour nous ne l’est pas nécessairement pour eux.
    — Je ne vous contredirai pas à ce sujet. Je vous envoie tout de suite la première malade ?

    — Laissez-moi d’abord le temps de m’installer dans mon
    «box».
    Les bureaux des deux médecins occupaient réellement les box logeant autrefois les chevaux. Un nettoyage en règle et la pose d’un nouveau plancher de madriers permettaient d’oublier leur première vocation.
    Quelques minutes plus tard, une femme dans la vingtaine se présenta à la porte. Stupéfaite, elle murmura :
    — J’ai demandé à voir un médecin...
    — Alors, ouvrez les yeux : je suis médecin.
    — Vous êtes une femme.
    — Vous avez remarqué aussi ! Croyez-moi, ce n’est pas un empêchement à la pratique de la médecine. Prenez cette chaise, et expliquez-moi ce qui vous amène ici.
    Les gens venant au dispensaire pour la première fois exprimaient souvent une surprise similaire, et Thalie offrait la même réponse d’un ton faussement enjoué. La cliente occupa le siège avec mauvaise grâce et releva un pan de sa robe pour révéler une jambe gauche atrophiée.
    — Vous avez eu une polio, constata le médecin.
    — Je voudrais renforcer ma jambe. La douleur devient intolérable après quelques heures debout. Si ça continue, je devrai abandonner mon emploi.
    — Quel genre de travail faites-vous ?
    — Vendeuse.
    Pareille occupation était totalement incompatible avec son état. Elle devait, au bas mot, demeurer debout huit heures par jour.
    — Je comprends. Même avec deux jambes parfaitement saines, c’est épuisant. J’ai moi-même une certaine expérience de la chose.
    La confidence fit naître un regard soupçonneux sur le visage de la patiente. Thalie préféra ne pas s’étendre sur ses origines et ses années de travail dans la boutique de sa mère.
    — N’avez-vous pas songé à faire autre chose ?
    — Arrangée comme ça, les bons partis ne se bousculent pas à ma porte.
    Spontanément, elle évoquait la « carrière » habituelle des femmes : le mariage et la maternité.
    La patiente portait une chaussure avec une semelle compensée. Cet artifice devait atténuer un peu une sévère claudication. Son malheur tenait à un autre motif. Depuis le début de la décennie, les robes plus courtes entraînaient un véritable culte des jolies jambes gainées de soie. Sur le marché matrimonial, elle se trouvait cruellement desservie par l’évolution de la mode. Elle resterait vraisemblablement vieille fille.
    — Je songeais

Weitere Kostenlose Bücher