Thalie et les âmes d'élite
recruter les policiers chez les dames de soixante ans, elles sont de redoutables enquêtrices. Ce matin, elle a réitéré son invitation à la prudence. Elle craint pour ma réputation.
L’homme hocha la tête. La moitié de la population de la ville semblait vouée à la surveillance de l’autre moitié, soucieuse surtout de relever les accrocs à la morale sexuelle.
Des rumeurs sur Elise risquaient même de nuire à la carrière de son père.
— Nos conversations dans un parc ne peuvent guère prêter à conséquence, dit-il pour la rassurer un peu.
— Tout peut alimenter les mauvaises langues. Et quand il n’y a rien, on invente...
«Tout de même, songea son compagnon, elle a continué de me voir. Aujourd’hui, la voilà dans ma demeure. »
Pendant ce temps, Elise portait la tasse à ses lèvres. Son chapeau posé sur la table, elle offrait au regard ses cheveux bruns ondulés, un profil régulier, des traits fins. Leurs yeux se croisèrent un long moment, puis l’homme se leva à demi pour poser ses lèvres sur les siennes.
Au lieu de se dérober, elle rejeta la tête en arrière, accepta le contact léger d’abord, presque furtif, puis plus insistant. Quand la main se posa contre sa nuque, elle ferma les paupières, accepta l’intrusion.
Fernand se redressa complètement et lui tendit la main.
— Viens chez moi, dit-il à voix basse, comme si quelqu’un pouvait entendre.
L’hésitation dura à peine. Bientôt, elle le devançait dans l’escalier circulaire conduisant à la garçonnière, les joues en feu, presque fiévreuse.
*****
La nouvelle circulait dans le diocèse depuis quelques semaines : le choix du successeur de monseigneur Roy avait été arrêté. Le 9 juillet, des mois après le décès du titulaire, monseigneur
Félix-Raymond-Marie
Rouleau
devenait
archevêque de Québec. Il quittait l’évêché de Valleyfield pour occuper ce nouveau poste. Dès le lendemain, Joseph-Alfred Langlois lui succéderait à cet endroit.
— Le petit directeur de collège a enfin eu sa promotion, maugréa Emile Buteau.
L’ecclésiastique se tenait debout devant la statue du Sacré-Cœur, dans la cour avant de son immense presbytère.
Il enleva son chapeau rond pour s’essuyer la tête avec son mouchoir. Le soleil tapait dur. Si la nouvelle le décevait un peu, elle ne le décourageait pas.
— Il y aura une prochaine occasion, se disait-il. Peut-être pas à Québec,
mais
un
bel
évêché
deviendra
bientôt
disponible quelque part.
Son éloge funèbre, lors des funérailles de Raymond Lavallée, faisait
partout
l’objet
de
conversations.
Cela
lui
valait une petite notoriété. De nombreux collègues lui demandaient d’éditer le journal de son protégé, pour le publier à l’intention des élèves des écoles secondaires. Cette sorte de littérature, moussée par les prêtres, les frères et les sœurs enseignants, fournirait une nourriture spirituelle inestimable à la jeune génération. Parmi l’arsenal pour combattre l’influence délétère du cinéma et de la musique des Etats-Unis, une lecture si édifiante trouverait sa place.
Surtout, un tel texte lui offrirait une excellente publicité, une sainteté par association, en quelque sorte. Après tout, les cahiers de Raymond Lavallée contenaient le résumé de quarante de ses sermons. Des collègues obtenaient des promotions pour moins que cela.
Quelques mots
Les personnes un peu familières avec la «petite» histoire religieuse du Québec ont peut-être eu une impression de déjà-vu en lisant ces pages. L’Eglise catholique a présenté de nombreux saints enfants pour l’édification des jeunes gens des deux sexes. Que l’on pense seulement à Dominique Savio (1842-1857; canonisé en 1954) et à Maria Goretti (1890-1902 ; canonisée en 1950), des Italiens dont les biographies nombreuses ont circulé dans les couvents, les collèges et les séminaires.
La province a connu aussi sa récolte d’adolescents ou de jeunes adultes décédés prématurément après une vie édifiante. Ils ont
également
fait
l’objet
de
biographies
souvent
rééditées afin d’en faire des modèles. Les plus connus furent probablement Paul-Émile Lavallée (1899-1922) et Gérard Raymond (1912-1932). Le futur cardinal de Québec, Jean-Marie-Rodrigue
Villeneuve,
publia
une
biographie
du
premier, intitulée Aux jeunes de mon pays. L’un des vôtres. Le second a écrit un journal pendant les quatre
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