Thalie et les âmes d'élite
signaler de rentrer à la maison.
*****
Le dernier jour de juillet, une journée de pluie procura un peu de répit à la famille Tousignant. Malgré la présence des autres enfants dans la maison, Raymond trouva le moyen de s’isoler une petite heure avec son journal. Il commença, comme chaque fois qu’il en reprenait le cours, par s’excuser de l’avoir longtemps négligé. Puis il demeura un long moment le crayon suspendu dans les airs, désireux de décrire le travail harassant, les railleries de ses cousins et cousines, les soupirs impatients de son oncle devant toutes ses maladresses.
Mais de telles confidences lui parurent convenir assez mal pour la postérité. Ses états d’âme prirent une forme étrange :
« Barricadé derrière le travail continu aux champs, le chapelet en famille et la messe dominicale, dans un milieu profondément imprégné de la foi de nos pères, je suis arrivé à résister au démon... qui ne me fit d’ailleurs que de rares assauts. »
L’un de ses maîtres du Petit Séminaire aurait pu commettre cette mauvaise prose.
Chapitre 7
Les membres de la famille Dupire se trouvaient à Saint-Michel-de-Bellechasse depuis cinq semaines maintenant. Un peu après avoir soupé seul d’une simple omelette dans la grande salle à manger, Fernand se planta devant la fenêtre du salon donnant sur la rue Scott. Les trottoirs étaient déserts.
De nombreux voisins profitaient d’un séjour à la campagne.
— Je ne suis décidément pas fait pour la vie d’ermite, déplora-t-il.
Pourtant il se réfugiait très souvent en soirée dans la pièce aménagée pour lui à l’étage, coupé des autres membres de la maisonnée.
Mais
s’isoler
était
une
chose,
se
retrouver tout à fait seul, une autre.
Le notaire gravit l’escalier d’un pas lent, puis il ouvrit successivement la porte des chambres de chacun des enfants.
Celle d’Antoine laissait deviner que le garçon commencerait bientôt ses études secondaires. Les jouets avaient disparu, des livres traînaient sur la table de travail. Le constat fut le même dans la chambre de Béatrice. Elle se montrait bien sage, trop sage en réalité. La curieuse vie familiale dans cette demeure la privait de nombreuses occasions de rire.
— Je me demande si tu ne serais pas plus heureuse en pension, dit-il encore à mi-voix. Vivre avec des camarades de ton âge vaudrait peut-être mieux.
Le désordre dans la pièce à côté montrait combien le départ à la campagne avait été précipité. Jeanne n’avait pas eu le temps de ramasser les jouets de Charles abandonnés sur le plancher.
De l’autre côté du couloir, il posa la main sur une poignée de porte. Elle refusa de tourner. Eugénie avait pris la peine de fermer à clé avant de s’absenter pour l’été. D’abord, Fernand eut envie de forcer l’entrée afin de voir ce qui se trouvait dans ses tiroirs. Puis il comprit que cela ne lui apprendrait rien. Elle ne devait pas laisser tramer de documents confidentiels en quittant les lieux.
L’homme emprunta l’escalier étroit conduisant sous les combles. Le quartier des domestiques pouvait recevoir trois personnes. La chambre de Jeanne donnait sur l’arrière de la maison. Cette porte-là ne comportait pas de serrure. Il ouvrit et découvrit un lit étroit au matelas défoncé, des murs devenus grisâtres pour ne pas avoir été régulièrement peints ainsi qu’un plancher de planches nues.
— Quelle triste prison tu as là, ma pauvre amie.
Afin de ne pas attiser la colère d’Eugénie, il n’avait rien fait pour améliorer le sort de sa maîtresse au fil des ans. Et chaque fois qu’il avait voulu lui offrir un présent, la domestique avait refusé. Tout nouvel objet lui aurait valu une avalanche de reproches.
Fernand découvrit les tiroirs de la commode à peu près vides. La bonne ne possédait presque rien. Presque tous ses vêtements se trouvaient à Saint-Michel. Du bout des doigts, il caressa une camisole. La découverte d’un vieux peigne le réjouit. Quelques bouts de cheveux bruns se trouvaient toujours pris dans les dents. Il le porta à son nez avec l’espoir de retrouver son odeur.
Le téléphone sonna juste à ce moment. Avec empressement, il quitta la petite chambre pour descendre au rez-de-chaussée.
Essoufflé, il décrocha le cornet et annonça :
— Hello, Fernand Dupire à l’appareil.
— Fernand, j’allais raccrocher...
L’homme reconnut Mathieu Picard à l’autre bout du
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