Thalie et les âmes d'élite
fil.
— Désolé... je me trouvais dans le jardin.
Un peu plus, et il rougissait de son mensonge.
— Ta grande maison doit te sembler bien déserte.
Accepterais-tu de venir souper à la maison un jour de la semaine prochaine ?
— Je ne sais pas...
— Tu as peur que ta grande demeure vide s’ennuie de toi?
L’ironie amicale toucha le notaire. Il préféra jouer la candeur :
— Je ne sais pas si je peux m’imposer ainsi. Vous êtes dans votre nouvel appartement.
— Cela fait un bon mois déjà. Puis le premier avantage de mes nouveaux quartiers, c’est de pouvoir inviter des amis.
Tu fais partie de ceux-là,
— C’est d’accord, j’accepte.
—
Alors à mercredi. Nous soupons vers sept heures.
Avant de raccrocher, après les souhaits de bonne soirée, Fernand dit encore :
— Mathieu...
— Oui?
— Merci de ta gentillesse.
Après avoir replacé le cornet, l’homme solitaire pensa à se verser un whisky. Il préféra plutôt mettre son panama et sortir pour une longue marche. La pensée de se rendre à Saint-Michel le lendemain le rassérénait un peu.
*****
Même si la plupart des manufactures, des ateliers et des commerces restaient ouverts toute la journée du samedi, plus de mille personnes, des hommes pour la très grande majorité d’entre eux, se réunirent dans les estrades du stade de baseball construit au coin de la 3 e Rue et de la 3 e Avenue, dans le quartier Limoilou. Le gazon à l’intérieur du losange offrait de grandes plaques jaunâtres, mais cela ne suffisait pas à décourager les véritables amateurs de sport.
— Cette équipe n’a rien à voir avec l’équipe de hockey ?
demanda Mathieu, surtout pour rompre le silence devenu un peu lourd.
— Pas vraiment. Les propriétaires ont simplement voulu réutiliser un nom connu de tous les habitants de la ville.
Edouard se faisait une véritable vocation d’expliquer les mystères de la vie sportive de Québec à quiconque semblait lui prêter une oreille attentive. Il s’attarda sur les propriétaires de la
première
équipe
de
baseball
professionnelle
de
Québec, les Bulldogs, de la ligue Eastern Canada. Toutes les semaines, des partisans enthousiastes encourageaient ses athlètes.
— Evidemment, du temps des Rock City, les joueurs canadiens-français dominaient l’équipe, précisa le commerçant.
Dans celle-ci, les meilleurs viennent des Etats-Unis.
— Pourtant, nos voisins du Sud ont des centaines d’organisations chez eux.
— Et des joueurs en plus grande proportion encore. Ces gars trouvent ici un revenu de quelques centaines de dollars et de la bière à volonté, tout en rêvant de jouer un jour dans une ligue plus prestigieuse.
Le devant des estrades s’ornait de publicités peintes, dont celles de la brasserie Boswell et de Coca-Cola. A deux rues de là, une usine d’embouteillage procurait aux citadins leur provision de boissons gazeuses. Pendant de longues minutes, les deux hommes observèrent le jeu devant eux.
Edouard cherchait un moyen d’aborder le sujet de ce rendez-vous.
Les
relations
avec
son
cousin
se
qualifiaient
au mieux de polies. Aussi, Mathieu devinait que l’invitation à assister à cette joute pas très enlevante visait un autre motif que les rapprochements familiaux.
— Tu n’as jamais réfléchi à mon offre ? tenta le commerçant.
— Laquelle ?
Le jeune avocat soulevait les sourcils pour exprimer son ignorance, tout en sachant très bien où l’autre souhaitait en venir.
— Ta part dans le magasin. Je suis toujours désireux de te l’acheter.
« Enfin, nous y voilà », songea le jeune homme. Le sujet revenait entre eux à chacune de leurs rencontres. Edouard possédait tout juste la moitié du grand magasin de la rue Saint-Joseph. Cette situation lui paraissait insupportable.
— Ma réponse reste la même, précisa son invité.
Pourquoi me départir d’une propriété qui demeure d’un bon rapport ? Car les affaires paraissent excellentes.
— ... Elles sont bonnes. Avec tous les chantiers en cours, les progrès de l’agriculture, les gens achètent comme jamais.
— Sans compter que les prix augmentent sans cesse, fit Mathieu avec ironie.
Après le ralentissement des années 1919 et 1920, l’économie avait redémarré de plus belle. Chacun rêvait de se rendre propriétaire de l’un ou l’autre des objets attachés au confort moderne: appareil radio, grille-pain ou phonographe électrique et, pour les plus nantis, une
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