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Thalie et les âmes d'élite

Thalie et les âmes d'élite

Titel: Thalie et les âmes d'élite Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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que ce soit la seconde éventualité.
    — Ainsi donc, formula Elisabeth d’un ton narquois, tes affaires ne se limitent pas au commerce familial...
    Pour la première fois depuis la fin du repas, Edouard lui adressa un sourire sans réserve.
    — Actuellement, je liquide tous mes terrains pour investir à la Bourse. Les cours montent sans cesse, je ne veux pas rater cette manne.
    — Je n’y connais rien, comme tu le sais, sauf ce que Thomas en disait: un terrain a une valeur intrinsèque. Tôt ou tard, quelqu’un voudra bâtir dessus. Avec les actions, on ne sait pas.
    — Mais le profit prend du temps à venir. A la Bourse, n’importe qui peut devenir riche. Un coup de fil à un courtier, et on n’a plus qu’à regarder les profits s’aligner.
    Tous les matins, les journaux les publient.
    Elisabeth secoua la tête, agitant sa lourde chevelure d’un blond foncé. Le garçon capta un reflet vieil or qui le ramena au bonheur de son enfance. Un bref instant, il eut envie d’y enfouir la main, comme le jour de leur première rencontre, en 1896.
    — Je dois vieillir, commenta la femme en se levant. Le monde me
    paraît
    tellement
    différent,
    maintenant.
    A
    mes
    yeux, l’argent se gagne en y mettant un peu du sien.
    — Cela, c’est une vision que les curés nous ont enfoncée dans la tête. «Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front. »
    Avec la Bourse, l’argent travaille tout seul.
    Elle hocha la tête plutôt que de s’engager dans une longue discussion.
    — Moi, je transpirerai un peu, aujourd’hui. Comme les domestiques ont mérité quelques heures de congé, je vais même gagner ma vie en mettant la main à la pâte.

    Edouard la reconduisit jusque sur la longue galerie ornant la façade de la maison. Sous le soleil, il remarqua quelques filaments blancs juste au-dessus des tempes de sa mère.
    — Je te remercie d’être venue. C’est gentil à toi, fit-il en lui embrassant les joues.
    — Transmets mes salutations à Evelyne. A bientôt.
    Quelques années plus tôt, la visiteuse montait à l’étage pour la saluer elle-même. L’accueil plutôt froid reçu en ces occasions l’avait lassée de cette attention.
    Sous le regard de son fils, elle marcha en direction de la Grande Allée. Elle croisa l’un de ses anciens voisins qui s’arrêta pour lui serrer la main. Le temps d’une brève conversation, l’homme exposa son crâne aux chauds rayons de juin et ne remit son panama qu’en la quittant. Alors que la femme continuait son chemin, le badaud s’arrêta de nouveau pour la regarder s’en aller, la taille toujours fine, un mouvement invitant dans les hanches.
    — Le vieux salaud, commenta Edouard avant de rentrer.
    Soixante ans et toujours entiché de la silhouette de maman.
    En soupirant, il ferma la porte de la triste maison.

    *****
La visite de sa mère entraînait toujours un regain de vertu chez Edouard. Cela ne le conduisait pas au pied de l’autel, à ronger une balustrade, mais au lieu de se rendre au terrain de l’exposition afin de participer aux festivités de la Saint-Jean, il passa la soirée au salon. Bien sûr, l’acquisition d’un nouveau
    jouet
    participait
    à
    son
    soudain
    intérêt
    pour la quiétude de sa grande demeure.
    Un appareil radio Marconi trônait sur un guéridon près du mur. S’il n’ajoutait rien à l’esthétisme des lieux, il promettait des heures de divertissement. Surplombant le dispositif, un grand cône
    en
    laiton
    permettait
    de
    diffuser
    le
    son dans toute la pièce.
    — Pourtant, cela devrait se trouver à cette fréquence, murmura l’homme en agitant un gros bouton.
    — As-tu déjà entendu autre chose que des grincements, avec cela ?
    Evelyne parcourait un ouvrage de piété, assise dans le meilleur fauteuil, dans le faisceau d’une lampe sur pied.
    — La station CKCI diffuse tous les jours, tu l’as probablement écoutée plus souvent que moi. Tu es ici toute la journée.
    Au cours des dernières années, trois stations de radiodiffusion avaient été inaugurées dans la ville. Il en restait une, associée au journal Le Soleil. Les couinements électriques s’estompèrent enfin et une chansonnette se répandit dans le salon. Edouard enleva ses doigts du cadran avec prudence, comme si le démon de la modernité risquait de faire revenir les bruits agaçants. La musique continuant sans interruption, il lança un regard de défi à sa femme. Elle ne daigna même pas lever les yeux pour reconnaître sa victoire sur la

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