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Thalie et les âmes d'élite

Thalie et les âmes d'élite

Titel: Thalie et les âmes d'élite Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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peu de se voir prise en défaut, puis s’efforça de changer rapidement de sujet:
    — Comment va ton travail ? Tu m’en parles si rarement.
    — Cela va très bien avec mes patients... mais ceux-ci demeurent bien peu nombreux. Au point où je me sens un peu mal à l’aise devant le docteur Caron. Il m’offre des conditions idéales, mais je n’arrive pas à remplir la salle d’attente.
    — Les choses iront bientôt mieux. Ce n’est pas facile de changer les habitudes des gens.
    Et plus qu’ailleurs, toute nouveauté suscitait la méfiance dans la province de Québec. La population paraissait obnubilée par un passé sacralisé. Aujourd’hui, et demain encore plus, recelaient à ses yeux toutes les menaces.
    — Justement, je me demandais si tu ne voudrais pas mettre un petit présentoir dans le magasin, peut-être près de la caisse... ou encore près des sous-vêtements.
    Thalie sortit de la poche de sa veste l’une de ses cartes professionnelles.
    — Je les ai reçues hier, elles sentent encore un peu l’encre.
    Le recto portait les renseignements habituels : le nom de la praticienne et son statut, « Diplômée de l’Université McGill», l’adresse et le numéro de téléphone du cabinet du docteur Caron.
    — Regarde de l’autre côté.
    La jeune femme avait fait imprimer une petite réclame :
    «Pour certains problèmes de santé, une femme préfère parler à une autre femme. Je suis là pour vous. »
    — Tu as bien raison, je suis moi-même heureuse de délaisser un peu le vieux docteur Caron.
    — Et tu serais prête à venir me voir toutes les semaines...
    Mais ma famille ne compte pas assez de membres pour me faire une clientèle. Pourrais-tu mettre des cartes dans un petit coin de la boutique ? Comme tu vends exclusivement des vêtements pour femmes...
    — Je ferai mieux. J’en glisserai une dans le sac de toutes les clientes.
    Thalie écarquilla les yeux avant de dire à voix basse :
    — Cela ne se fait pas !
    — Tu crois ? Les prêtres disent exactement cela des femmes qui veulent faire des études.
    La répartie laissa la jeune fille interloquée. Puis, elle convint :
    — Dans ce cas, tu pourras la glisser dans les sacs, si tu penses que les acheteuses ne seront pas offusquées de l’initiative.
    — Pourquoi le seraient-elles ? Un peu d’entraide entre parents, tout le monde s’y attend. Tu en as fait imprimer en anglais ?
    La femme d’affaires reprenait le dessus, comme si vendre un médecin semblait aussi facile que de vendre une robe.
    — Les touristes ne consultent pas pendant leurs vacances.
    — Si elles sont malades, oui. Puis des anglophones de la ville fréquentent mon commerce, tu sais.
    Inutile de préciser qu’il s’agissait de celles qui trouvaient les prix de Holt and Renfrew, et même de Simon’s, un peu trop élevés pour leurs moyens.
    —Je vais t’en laisser. Comme je les distribue au Jeffrey Hale, il m’en reste une provision.
    Un bruit venant du couloir attira leur attention, puis une tête blonde un peu inclinée apparut dans l’embrasure de la porte.
    — Est-ce que j’interromps un conciliabule mère-fille?
    demanda Amélie.
    — Le conciliabule est terminé, viens te joindre à nous, répondit Thalie du même ton amusé.
    La jeune femme entra pour se laisser tomber dans un fauteuil.
    — Je croyais bien que les dernières clientes ne partiraient jamais, commenta-t-elle.
    —Je m’en veux de t’avoir laissé la corvée de fermer le magasin.
    — Tu le sais, je ne critique jamais ma patronne. Je veux bien fermer tous les soirs, si tu le souhaites. Mais ces femmes ne paraissent pas connaître la nouvelle loi.
    Depuis l’année précédente, une loi provinciale obligeait les commerces à fermer leurs portes à six heures du soir.
    L’initiative couronnait des années d’efforts d’associations féminines afin de mettre fin aux horaires abusifs imposés aux vendeuses.
    — Nous avons tellement de touristes en cette saison, plaida Marie.
    — Oh ! Les pires sont les Canadiennes françaises, habituées à faire des achats jusqu’à sept heures, et même huit. Cela ne leur entre pas dans la tête... Allons-nous manger bientôt?
    — Gertrude n’a pas donné signe de vie depuis une bonne heure, intervint Thalie. Ou le repas sera prêt dans quelques minutes, ou les chaudrons ont eu le dessus sur elle.
    Depuis sa naissance, la vieille domestique figurait dans son paysage, un mélange d’irritabilité et de générosité. Elle lui faisait

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