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Thalie et les âmes d'élite

Thalie et les âmes d'élite

Titel: Thalie et les âmes d'élite Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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Tu as beau te précipiter à la moindre blessure, poursuivit-elle, au moindre petit mal de ventre, Antoine est à moi. Les deux autres aussi. Toi, tu n’es que la servante, rien de plus.
    Son interlocutrice serra les dents, résistant à l’envie de lui asséner un grand coup avec le fait-tout qu’elle s’affairait à nettoyer.
    — C’est à moi qu’Antoine a voulu raconter sa mésaventure, risqua-t-elle dans un souffle.
    Répondre à ces assauts répétés lui tournait toujours le cœur à l’envers. Toutefois, elle n’arrivait pas à s’en empêcher.
    — Tu demeures la bonne.
    — Je ne l’ai pas entendu se confier à vous.
    Le coup porta. Ce fut d’une voix sifflante qu’Eugénie enchaîna :
    — Et pour Fernand, ta présence lui permet seulement de se passer des visites au bordel. D’ailleurs, tu devrais quémander une augmentation. Tu lui fais faire des économies.
    Là-dessus, madame Fernand Dupire tourna les talons pour se rendre à l’étage. Pendant ce temps, Jeanne se penchait de nouveau
    sur
    l’évier.
    Bientôt
    quelques
    larmes
    se
    mêlèrent à l’eau de vaisselle.

    *****
    Un peu plus au sud dans la rue Scott, la maison familiale des Picard présentait aussi un caractère majestueux, un peu moins austère peut-être. Edouard y habitait maintenant avec sa seule famille immédiate. Construite en 1897, la demeure possédait un intérieur qui illustrait le style victorien dans toute sa lourdeur. Les boiseries sombres, les rideaux très épais, les papiers peints fleuris : tout rappelait le siècle précédent. Le passage des derniers vingt-cinq ans en avait fait un logis fort démodé.
    — Cela me fait tout drôle de me trouver ici un mercredi midi, observa Elisabeth en examinant la salle à dîner.
    Pendant vingt ans, elle avait régné sur ces lieux. Se trouver dans cette pièce à titre d’invitée lui donnait toujours un pincement au cœur, moins pour le statut perdu que pour l’absence de Thomas. «Je me demande bien ce qu’il penserait de moi,
    maintenant»,
    songeait-elle
    souvent.
    Toujours
    belle à quarante-sept ans, mince et digne, elle refusait absolument de se soumettre à la nouvelle mode des cheveux courts. Pour le reste, avec des robes finissant tout juste sous les rotules, deux boutons de son chemisier détachés, un rang de perles au cou, les hommes se retourneraient toujours sur son passage.
    — Enfin, l’Assemblée législative s’est décidée à faire du 24 juin un congé férié, commenta Edouard en lui versant un verre de vin.
    — Bien sûr, cela sied bien à tes sympathies nationalistes.
    — Oh ! Ne va pas chercher des motifs politiques à ma satisfaction. Cela met fin à un dilemme pour tous les marchands. D’un côté, les sociétés nationalistes et le clergé nous reprochaient de demeurer ouverts. Ils allaient jusqu’à murmurer le mot boycott. De l’autre, si nous fermions, les magasins anglais ou juifs faisaient des affaires d’or. Là, nous sommes tous sur le même pied, c’est-à-dire fermés.
    Evelyne, l’épouse du jeune marchand, était revenue dans la salle à dîner assez tôt pour entendre la fin de la conversation.
    — Si ta flamme nationaliste est éteinte, remarqua-t-elle, comment se fait-il qu’Armand Lavergne s’invite à souper ici une fois par mois ?
    — Il ne s’invite pas, je l’invite ! Il demeure mon meilleur ami, et le seul qui ne soit pas marchand dans la rue Saint-Joseph, ou Saint-Jean. Cela fait changement. Avec lui, je peux cesser un moment de parler boutique.
    L’épouse se renfrogna, attitude chez elle si familière qu’au repos, son visage la retrouvait tout naturellement.
    Une moue marquait ses lèvres en permanence. Elle était arrivée dans cette maison jolie, souriante et un peu sotte.
    La vie conjugale en avait fait une femme malheureuse, renfrognée, et toujours un peu sotte.

    — Grand-maman, intervint Thomas junior, papa m’a rapporté de nouveaux wagons pour mon train électrique.
    Viens les voir.
    — Bien sûr, mon ange, quand nous aurons terminé le repas.
    Agé d’un peu plus de sept ans maintenant, le garçon ressemblait terriblement à son père. Elisabeth revivait ses vingt ans au moindre regard posé sur lui. Dans une maison où le climat confinait si souvent à l’orage, il arrivait à conserver une étonnante bonne humeur.
    — Nous allons boire à cette première fête de la Saint-Jean fériée, déclara le maître de la maison.
    Elisabeth voulut bien partager ce toast. Evelyne se

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