Théodoric le Grand
ignores où elle se
trouve, mais qu’elle et moi sommes quelque part sur la route. Nous allons
encore passer cette nuit à Serdica, après quoi… (il fit une pause et me
regarda)… nous nous rendrons tu sais où. Apporte-moi la réponse là-bas. Tu
chevaucheras plus vite que notre long convoi, aussi devrais-tu y parvenir à peu
près en même temps que nous. Exécution !
— À vos ordres, Triarius ! aboya l’ optio.
Il referma son casque, fit signe aux autres officiers de le
suivre et sortit.
— Toi, me dit Strabo, regagne tes appartements.
Il me gratifia de nouveau d’un de ses clins d’œil de crapaud
et sourit d’un air salace.
— Repose-toi… car la nuit approche. Et demain, tu pars
pour un long voyage, tu peux me croire.
Au fond, songeai-je en observant d’un air morose la cime
blanche du Sommet Noir, le message de Strabo à Théodoric n’était pas très
différent de ce à quoi je m’étais attendu. Mais quelle serait la réponse de
Théodoric ? Même si Swanilda n’avait pas réussi à le joindre et à lui
délivrer le pactum de Zénon, je doutais fort qu’il donnât une suite
positive à aucune des demandes de Strabo. Fût-ce au prix de la sécurité de sa
sœur bien-aimée. Il était, après tout, roi d’un trop vaste peuple pour mettre
en péril toutes ses espérances au nom d’une seule jeune femme. Cependant, il
serait sans doute très préoccupé d’apprendre qu’Amalamena se trouvait détenue
et en danger.
Sans doute aurait-il eu beaucoup plus de peine encore
d’apprendre qu’elle était déjà morte, mais cela lui aurait au moins évité
d’avoir à imaginer les moyens de la secourir, risquant sa vie et celle des
siens. Comment pouvais-je lui faire parvenir ce message ? Ne te rends pas,
Théodoric. Ne fais même pas semblant de satisfaire aux exigences exorbitantes
de Strabo. Ta position est inexpugnable, et quelque part, le vrai document de
Zénon existe toujours, qui te confirme dans tes droits. Et ne pleure pas trop
Amalamena. Tu l’ignorais, mais sa mort était inéluctable, et elle a trouvé une
fin meilleure qu’elle et toi auriez pu l’espérer.
Il fallait que je lui fasse savoir tout cela, mais
comment ? Demain, notre colonne reprendrait la route. Une fois parvenus au
refuge de Strabo, où qu’il se trouve, je serais encore plus étroitement confiné
et surveillé qu’à présent. C’était ici, à Serdica, que résidait ma meilleure
chance, et probablement la dernière, de faire parvenir un message à Théodoric.
Mais que faire ? Offrir ma chaîne en or en gage à l’un des serviteurs du deversorium ?
Impossible. Dès que l’un d’eux m’approchait, un garde était présent. Et durant
le reste de la journée, il y avait dans le couloir un constant va-et-vient de
sous-officiers venus rendre visite à Strabo pour recevoir ses ordres et ses
instructions.
Je contemplai mes deux derniers ornements, et le regard que
je dardai sur la fiole reliquaire était si malveillant qu’il en était presque
profanateur. Le lait d’une jeune fille vierge devait être totalement dénué de
valeur nutritive, et n’avoir aucun goût ; celui de cette fiole avait fait
la preuve de la même stérile inutilité. Mais l’autre emblème ? Qu’on
l’envisageât comme une croix chrétienne ou comme le marteau païen de Thor, il
possédait au moins une qualité tangible. Bien que fait d’un or assez tendre, si
on le traînait sur une surface grossière, il y imprimerait au moins une marque.
Je pouvais donc m’en servir pour écrire, laisser un message sur un des murs de
la pièce. Certes, l’espoir qu’un domestique le repère après mon départ et
l’identifie comme tel était mince ; quant à l’espoir que ce domestique se
mette alors en quête d’une personne capable de le déchiffrer, bien plus ténu
encore. De là à imaginer qu’ensuite on aille faire passer le message à
Théodoric, mieux valait en rire. Mais l’espoir le plus ridicule valait à tout
prendre mieux que pas d’espoir du tout. Je jetai un œil prudent en direction de
mon garde, posté juste au seuil de la porte, et me rapprochai du mur, afin
qu’on ne pût m’apercevoir qu’en penchant la tête vers l’intérieur. Puis je me
posai la question : dans quel langage écrire, avec quel alphabet ? Je
décidai que la Vieille Langue serait pour un domestique plus intelligible que
le latin. J’utiliserais les runes : prévues à l’origine pour être gravées
sur du bois, elles
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