Théodoric le Grand
préférées de l’empereur Constantin, au point
qu’il avait hésité à en faire la Nouvelle Rome en lieu et place de Byzance. Je
pouvais le comprendre. Serdica est posée sur un bassin surélevé de la chaîne du
Grand Balkan, et cette altitude donne à la ville, perpétuellement balayée d’une
rafraîchissante brise, un air salubre et un climat plaisant. Elle est dominée
par le pic le plus élevé du massif, que je pouvais admirer depuis ma
fenêtre ; les gens d’ici l’appelaient le Culmen Nigrum (le Sommet
Noir) mais nul ne sut m’expliquer pourquoi. Ce nom était en tout cas peu
adapté, car une neige étincelante couronne son faîte toute l’année.
Je pus cette nuit-là disposer seul de ma chambre. Strabo ne
revint pas me molester, sans doute parce qu’il avait besoin d’une bonne nuit de
repos, tout comme moi. Mais le lendemain matin, mon garde m’amena dans la cour
du bâtiment, où m’attendaient Strabo, un scribe militaire, l’ optio Ocer
et quelques officiers.
— Je tenais à ce que vous entendiez cela, princesse,
dit Strabo, avec son habituelle emphase moqueuse lorsqu’il prononçait mon
titre. Je suis sur le point de dicter mes conditions à votre frère.
Il procéda à l’opération, sans aller bien vite, car son
scribe était loin de posséder l’habileté que j’eusse développée à sa place. En
bref, Strabo exigeait que Thiudareikhs l’Amale, fils de Thiudamer l’Amale,
laisse vacante la cité de Singidunum et se rende aux forces impériales qui ne
tarderaient pas à être envoyées sur place par l’empereur Zénon. Ensuite, que
Théodoric cesse d’importuner l’empereur au sujet de concessions de terres,
titres militaires, consueta dona d’or et autres présomptueuses
revendications. Il exigeait également que Théodoric renonce à s’arroger le
titre de roi des Ostrogoths, abandonne toute prétention à briguer cette
souveraineté, et jure sincère fidélité et entière soumission au vrai roi,
Thiudareikhs Triarius. En contrepartie de l’acceptation de ces menues
conditions, Strabo envisagerait les dispositions à prendre au sujet de la femme
Amalamena l’Amale, fille de Thiudamer l’Amale, récemment capturée par Strabo en
combat honorable, et détenue au titre de prisonnière de guerre. Strabo ajoutait
quelques précisions laissant entendre que les « dispositions »
concernant Amalamena pourraient consister en un mariage de convenance, dont
l’époux n’était pas nommément spécifié, destiné à mettre un terme aux longues
dissensions qui avaient opposé les différentes lignées du peuple ostrogoth,
cimentant entre elles une concorde et une paix durables.
— Vous noterez, me dit Strabo avec un clin d’œil de
batracien, que je n’élève aucune plainte au sujet de, euh… du mauvais état de
la marchandise en question. Je me doute bien que vous n’aurez pas jugé utile
d’informer votre frère de votre condition honteusement dépréciée, et je ne lui
vendrai pas la mèche. Il pourrait vous juger indigne du marché que je lui
propose.
Je ne lui fis pas l’honneur du moindre commentaire. Je me
contentai d’un petit reniflement de dédain, conforme à mon attitude de
princesse offensée. Strabo bondit, me tira contre lui, enroula ses doigts
autour de la chaîne d’or que je portais au cou, la brisa, et en fit glisser les
trois amulettes.
— Tiens, fit-il en me restituant d’un lancer négligent
la chaîne et deux des trois bijoux qui l’ornaient. Garde tes saintes breloques,
et grand bien te fassent-elles.
Il fit glisser le troisième ornement, le monogramme de l’initiale
de Théodoric, dans le parchemin que lui tendait enfin le scribe.
— Voilà qui devrait convaincre ton frère, si besoin
était, que je te détiens bien en otage.
Le scribe fit couler quelques gouttes de cire chaude sur le
document roulé, et Strabo y imprima son sceau. Celui-ci consistait en deux
runes, le thorn (þ) et le teiws (η) représentant les
initiales de Thiudareikhs Triarius. Il fourra le tout entre les mains de l’ optio et dit :
— Ocer, prends avec toi autant d’hommes que tu le
jugeras nécessaire pour te prémunir des attaques de bandits et autres
mésaventures possibles, et galope avec ce document jusqu’à Singidunum.
Remets-le en mains propres à Théodoric ce tetzte de prétendant, et
dis-lui que tu es tenu de ramener une réponse écrite. S’il demande à savoir où
est détenue sa sœur, réponds-lui en toute honnêteté que tu
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