Théodoric le Grand
de ce qu’il signifiait en matière de sexualité féminine. Ayant
ainsi dépeint mon époux fantôme sous les traits d’un monstre de brutalité
lascive, je conclus :
— Je vous demande asile, à vous et vos sœurs, Mère
Amour, et implore aussi votre protection, car cet odieux personnage n’acceptera
pas aisément de se voir privé du réceptacle dans lequel il a si souvent éjaculé
avec délectation. Il est tout à fait capable de venir me traquer jusqu’ici.
Elle déplaça légèrement sa volumineuse graisse sur son trône
et aboya d’un air irrité :
— Aucun homme sensé ne se risquerait par ici.
— Akh , vous ne le connaissez pas, fis-je. Il
pourrait venir déguisé.
Elle souffla, un peu comme un dragon, et s’exclama, l’air
incrédule :
— Déguisé ? Serais-tu dérangée, ma pauvre
fille ?
Je pris un air de chien battu et m’efforçai de rougir.
— Je suis horriblement gênée d’avoir à vous avouer
cela, Mère Amour, mais… parfois il me forçait à le chevaucher comme un homme.
Il s’allongeait, passif comme peut l’être une femme, et me faisait grimper sur
lui. Alors…
— C’est répugnant ! Cesse immédiatement !
Elle et ses compagnes semblaient révulsées, comme au
supplice.
— Et d’abord, quel rapport avec le fait de se
déguiser ?
— Il est devenu expert à se grimer en travesti, si vous
voyez ce que je veux dire, Mère Amour. Ce qu’on appelle en latin transvestitus
muliebris. À force de m’emprunter mes vêtements, il est devenu très
crédible dans ce rôle. Il s’est même fait tailler par un lékar de Lviv
des poches pectorales dans la peau du torse, et y insère des rembourrages de
cire, voyez-vous… ici… et là…
Je gonflai ma poitrine de mon mieux, et soulevai mes seins
du doigt, pour bien montrer qu’ils étaient bien réels. Les petits yeux de
saurien du dragon s’agrandirent presque à taille humaine, comme ceux des Walis-karja qui assistaient à la scène.
Je soupirai et ajoutai :
— Il sortait parfois dans les rues de Lviv ainsi grimé,
et tous les étrangers le prenaient pour une femme.
— Ça ne sera certainement pas notre cas ! Pas
vrai, mes sœurs ?
Toutes remuèrent leurs têtes bovines d’un air déterminé.
— Quels que soient les artifices qu’il pourrait
employer, il ne résistera pas à l’épreuve du feu. On lui enfoncera un tison
dans le corps. Ça fond, la cire. Ça brûle…
Ses sœurs approuvèrent énergiquement de la tête et
crièrent : Bakh ! Bakh ! en guise d’applaudissements,
aussi fis-je chorus :
— Macte victute ! [45] Quelle brillante idée, Mère !
— Mais toi, reprit-elle, me fixant d’un regard
effrayant. Qu’as-tu à nous offrir, à part ton magnifique cheval et tes jolies
phrases en latin ?
— Je n’ai pas toujours été citadine, fis-je. Je sais
chasser, pêcher, je sais poser des collets…
— Mais tu manques de la bonne couche de gras
indispensable pour plonger dans les eaux froides et récolter les perles. Il te
faudrait déjà rembourrer tes os, on dirait de vraies brindilles ! Tâche de
t’y mettre. À présent dis-moi, que sais-tu de nous, les Walis-karja ?
— Ma foi, j’ai entendu pas mal d’histoires… J’ignore si
elles sont vraies.
— Il te faudra apprendre.
Du bras, elle me désigna l’une des femmes.
— Morgh est notre ketab-zadan… notre barde, si
tu préfères. Elle connaît tous nos chants sacrés. Elle te les chantera ce soir.
Tu pourras ainsi te perfectionner un peu dans la Vieille Langue.
— Ainsi, je suis des vôtres ?
— Pour l’instant. Savoir si tu le resteras, c’est une
autre affaire. As-tu laissé des enfants derrière toi, en fuyant Lviv ?
La question me saisit par surprise, mais je répondis avec
honnêteté :
— Ne.
— Serais-tu infertile ?
Je jugeai opportun de reporter le blâme sur mon détestable
mari.
— Sans doute que lui l’était, Mère. Vu la gravité de
ses perversions…
— Nous en aurons le cœur net, trancha-t-elle.
(S’adressant à Ghashang :) Occupe-toi de ça. Fais dire aux Koutrigours que
nous avons besoin d’un géniteur. Dès qu’il arrivera, accouple-le à cette femme.
(Et se tournant vers moi :) Si tu enfantes, tu pourras rester.
Pour une femme ayant fui les attentions lubriques de son
mari, m’offrir ainsi au premier venu était un type de rite initiatique plutôt…
raide. Qui plus est à un étranger, une de ces hideuses vermines à peau
Weitere Kostenlose Bücher