Théodoric le Grand
le cheval
nouvellement arrivé, que je chargeai de mes bagages. Là-dessus, je m’éloignai
d’un pas tranquille.
Non, je ne songeai même pas à aller voir cet être qui avait
été Thor et Geneviève, et n’était plus ni l’un ni l’autre, pour lui manifester
ma jubilation ou lui dire adieu. J’étais déjà intervenu, il est vrai, pour
empêcher qu’il ne soit sur-le-champ tué ou écorché vif. Si je l’avais fait, ce
n’était ni par pitié ni par remords ou désir de pardon, ni même en mémoire de
ce que ces deux personnes avaient été pour moi. Je m’étais juste rendu compte
qu’aucun châtiment ne serait plus cruel et plus implacable que de passer le
reste de sa vie comme esclave de ces abominables Walis-karja.
Ce qui lui arriverait désormais, je ne pouvais le prédire.
Lorsque les femmes sortiraient de leur torpeur, elles seraient sans doute ivres
de rage en réalisant ce que je leur avais fait. Elles passeraient peut-être
leurs nerfs sur le nouveau prisonnier. Et si ce dernier n’était pas
immédiatement massacré, peut-être découvrirait-on ce qu’il avait vraiment entre
les jambes. Quelles seraient alors leurs réactions ? Et que se
passerait-il quand le géniteur Koutrigour arriverait pour remplir sa
tâche ?
Je ne cherchai même pas à le deviner. Cela ne me servait à
rien. Bien que n’étant femme que pour moitié, j’étais capable de m’endurcir
d’une grande froideur, comme toute femme sait parfois le faire. Je m’éloignai
donc dans la nuit sans regard en arrière ni scrupule de conscience, et sans
chercher à me préoccuper du sort qui attendait ceux que je laissais derrière
moi.
17
Je ne revins pas à Lviv. Je me doutais que Maghib n’avait
pas eu le temps de se remettre de ses blessures, et je me souciais peu
d’attendre sa guérison. Je me souvenais de la prédiction du Boueux : si
les Ruges devaient descendre au sud faire alliance avec Strabo contre
Théodoric, ce serait pendant la moisson, avant l’arrivée de l’hiver. Or, sous
ces latitudes septentrionales, l’hiver ne tarderait guère.
Je décidai donc de cingler droit sur la rivière Buk, que je
remontai vers le nord. Au cours des cent cinquante milles romains que je
parcourus alors, je ne traversai aucun village, même de taille moyenne ;
juste çà et là quelques cabanes et les tas de bois de bûcherons slovènes. Je
finis par sortir de ces denses forêts toujours vertes et me trouvai sur la
terre la plus désolée qu’il m’ait été donné de traverser. C’était une large
plaine couverte d’une boue épaisse, couronnée de nuages gris suintant un
crachin glacé, où la piste serpentait au milieu des marécages et des tourbières.
Je n’avais aucun mal à comprendre pourquoi les Goths en migration ne s’y
étaient pas arrêtés, pressant le pas vers les terres plus accueillantes du Sud.
Et ce fut avec un grand soulagement que je parvins enfin
dans un village digne de ce nom, même s’il n’était peuplé que de Slovènes et
que je ne trouvai pour me loger qu’une misérable krchma. On parlait ici
un slovène encore plus sirupeux que partout ailleurs – le nom du village
lui-même ne pouvant se prononcer que Bsheshch – et les habitants étaient
finalement d’assez dignes représentants de leur peuple, avec leur visage plutôt
large, quoique plus grands, aux cheveux et à la peau plus clairs, et propres.
Ils se désignaient comme Polonais. Mes compagnons à l’auberge étaient tous des
mariniers en transit le temps que leur bateau décharge sa cargaison où en
prenne une nouvelle, Bsheshch étant le port le plus important sur la Buk.
Profondément las de cheminer parmi les tourbières, je proposai de gaieté de
cœur mon second cheval au propriétaire d’une barge de fret en échange de mon
transport et celui de Velox jusqu’au golfe Wende.
Ce vaste bateau à fond plat, chargé de lin, de fourrures et
de peaux, simplement porté par le courant et à d’autres moments actionné à la
rame ou à la perche par son équipage, se déplaçait plus vite que je n’aurais
jamais pu le faire sur terre. Trois ou quatre jours après avoir quitté
Bsheshch, je songeai à questionner le capitaine sur ce qu’il savait concernant
ces Ruges vivant à l’autre l’extrémité de sa zone de transport. Sa réponse me
stupéfia :
— Pour ne rien vous cacher, Pana Thorn, bon nombre
d’entre eux ne s’y trouvent plus. Tous les hommes valides se sont mis en route
et à l’heure où
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