Théodoric le Grand
qu’il le fasse incognito , sans
prévenir qui que ce soit au palais de notre arrivée. Explique-lui que tu veux
faire une surprise à ta mère. Quand il reviendra avec nos chevaux, je serai
mieux fixé sur la suite des opérations. En attendant, tu restes à bord.
Frido suivit mes indications à la lettre. Dès que le bateau
accosta, je sautai à quai et courus embrasser et serrer dans mes bras le petit
Arménien, souriant de toutes ses dents à mon retour. Nous nous bourrâmes le dos
de tapes amicales, et je laissai fuser :
— Que c’est bon de te revoir, mon vieux Maghib !
Dis-moi, ça a l’air d’aller beaucoup mieux ?
— Ja, fráuja. J’aurais bien aimé me remettre
plus tôt et accourir ici, pour vous informer que l’armée ruge était passée à
Lviv peu après votre départ. Mais je suppose que vous l’avez su depuis.
— En effet. As-tu d’autres nouvelles ? De
Meirus ? De Théodoric ?
— Ne, fráuja. Juste les comptes rendus de
voyageurs… comme quoi Théodoric et Strabo préparent tous deux leurs forces pour
s’affronter au printemps.
— Pas très fraîches, ces nouvelles.
Je gardais un œil sur le bateau, et je vis un des gardes en
sortir et partir discrètement vers le palais.
— Bon. Pour ma part, j’ai quelques petites nouvelles
pour toi, Maghib. Ta blessure a été vengée, et l’ignoble Thor ne te fera plus
jamais de mal, ni à toi ni à personne d’autre.
Il entama à l’arménienne une verbeuse litanie de
remerciements, mais je coupai court à son éternelle gratitude en
demandant :
— Qu’est-ce qui t’a poussé à venir attendre précisément
ce bateau, tout à l’heure ?
— Ma très chère reine Giso m’a dit que son fils et vous
étiez partis en voyage sur ce navire, et que c’était le seul bateau marchand
actuellement en mer. Je suis donc descendu l’attendre ici tous les jours.
— Comment ça, ta « très chère reine » te l’a
dit ? fis-je, intrigué.
— Comme vous le savez, je suis arrivé à Pomore porteur
d’une lettre du fráuja Meirus me présentant comme son agent commercial
pour l’ambre. Je devais la présenter à la reine. Il semble bien qu’elle accorde
une très grande importance à toutes les activités commerciales, même les plus
insignifiantes, car elle m’a aussitôt accordé audience. J’en ai profité pour
lui dire que je vous connaissais, et que j’avais vu passer son royal époux à
Lviv à la tête de ses troupes. Elle m’a alors, avec la meilleure grâce,
attribué pour logement les appartements que vous aviez occupés au palais. J’y
suis toujours installé, et je vous avoue apprécier grandement le luxe de
l’endroit, même si la monotonie des repas, toujours composés de poisson,
commence un peu à me…
— Vái, Maghib ! l’interrompis-je. J’ai
laissé croire à la reine que j’étais un envoyé de Théodoric Strabo. Aurais-tu
gaffé, en lui faisant comprendre que je suis un imposteur ?
— Ne, ne, fráuja. Ma bonne reine Giso a
effectivement émis quelques remarques qui m’ont surpris, au début. Mais j’ai
vite deviné leur signification, aussi lui ai-je laissé croire que nous sommes
tous deux, vous comme moi, de fermes tenants de Strabo et de son allié, son
mari le roi Feva. L’imposture n’est pas éventée, elle tient toujours.
— Thags izvis, soufflai-je, soulagé.
Pour récompenser Maghib de ses bons offices, je me mis en
devoir de lui raconter ce que j’avais appris de l’endroit où l’on pouvait
trouver de l’ambre, dans la fameuse « terre bleue » que l’on m’avait
indiquée, et comment l’on travaillait cette matière dans les ateliers des
lapidaires locaux. Je lui expliquai ensuite où il pourrait les trouver afin
d’en apprendre davantage sur ses nouvelles activités commerciales.
— Je ne doute pas de ta réussite en tant que
représentant en ambre, car je connais ton esprit d’entreprise. Mais dis-moi,
vous semblez vous être assez vite rapprochés, ta reine Giso et toi, je
me trompe ?
Il affecta un air de fierté modeste.
— Je bénéficie de ses faveurs, c’est certain. Je pense
que c’est la première fois qu’elle rencontre un Arménien, et qu’elle n’en a
jamais entendu parler. Aussi se méprend-elle, ignorant qu’un pauvre tetzte d’Arménien
n’est pas digne des attentions d’une femme aussi respectable qu’elle.
Il prit un air gêné, et regarda le bout de ses pieds.
— Elle a même parlé d’un air
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