Théodoric le Grand
au départ, au triple galop et comme des voleurs.
Allons-y tranquillement mais discrètement, par des voies secondaires.
Je me félicitai de cette évasion réussie, et remerciai la
déesse Fortune de m’avoir si opportunément envoyé Maghib à la rescousse. La
reine Giso allait bien sûr exploser comme le Vésuve, mais son fils et moi
serions alors hors d’atteinte, et il n’y aurait personne sur qui elle puisse
raisonnablement assouvir sa vengeance. Le capitaine n’aurait rien à se
reprocher, n’ayant fait qu’obéir aux ordres du prince, et des témoins
pourraient le soutenir. Même chose pour les quatre malheureux gardes. Maghib
continuerait innocemment à m’attendre, tout comme elle – ensemble, dans le
même lit et dans les bras l’un de l’autre –, aussi pourrait-elle
difficilement soupçonner de sa part une quelconque implication dans notre
évasion. Maghib pourrait même – je souris à cette pensée – atténuer
quelque peu son courroux en jouant habilement de son nez, pour ainsi dire. À
moins que la reine Giso, avec ses épouvantables dents et sans y prendre garde,
n’aille un jour le lui mordre.
J’attendis que nous ayons laissé derrière nous les dernières
habitations des faubourgs de Pomore pour me tourner vers Frido :
— À partir de maintenant et pour toujours désormais, mon
garçon, tu seras autorisé à galoper aussi vite, aussi loin et aussi librement
que tu en auras envie. Allez !
Et, avec les talons, je frappai fermement ma monture.
*
Le long retour par voie de terre ne fut marqué d’aucun
événement d’importance, du moins en ce qui me concerne. Mais pour le jeune
prince, chaque mille franchi, chaque jour nouveau fut une excitante aventure,
car tout à l’extérieur du palais de Pomore était une véritable découverte pour
lui. Jamais il n’avait franchi une rivière à gué, escaladé une montagne. Nous
en franchîmes et en escaladâmes de nombreuses. Il n’avait jamais chassé, jamais
posé des pièges ou péché pour assurer sa subsistance : je le lui appris
donc et il progressa rapidement, parvenant même à attraper du petit gibier à
l’aide de ce sliuthr que j’avais adopté depuis mon séjour chez les
Amazones. Notre différence d’âge n’était pas aussi importante que dans mon cas,
autrefois, avec Wyrd, mais je me comportais vis-à-vis de lui un peu comme
l’avait fait mon vieux compagnon envers moi, jouant les mentors et servant de
tuteur à ce jeune homme encore sans expérience que j’aurais pu moi aussi
appeler « gamin ». Je lui fis découvrir à mon tour la vie des
bois : comment détecter des plantes comestibles même en plein hiver,
comment cuire de la venaison dans la peau de l’animal ; comment, par temps
nuageux, retrouver son chemin grâce à la pierre de soleil…
Celle-ci nous fut une aide inestimable pour suivre la route
que je jugeais la plus courte pour regagner les provinces romaines, droit vers
le sud. Bien sûr, il nous fallut parfois dévier légèrement de cette direction,
quand il valait mieux éviter un obstacle que de le heurter de front pour le
franchir. Je fis systématiquement un détour pour contourner tous les villages
se trouvant sur notre route, afin de nous soustraire aux questions indiscrètes
que les gens des campagnes ne manquent jamais de poser. Mais nous en
rencontrâmes peu, et pratiquement plus aucun dès que nous eûmes quitté la
Viswa.
Cette course en ligne directe nous ramena bientôt à la
civilisation, au large coude du Danuvius. Je devrais plutôt dire qu’elle nous
ramena aux lisières de la civilisation : nous arrivâmes en effet près du
tas de ruines effondrées qui avait été naguère le castrum fortifié de la
cité d’Aquincum [52] . Je connaissais l’endroit pour y être déjà passé.
Nous étions donc dans la province de Valeria, et cette pensée, comme toutes les
nouveautés qui avaient déjà enchanté son trajet, procurait au prince Frido la
plus grande excitation. Ses premiers pas dans l’Empire romain ! Je notai
que la glace de la rivière commençait à se fendre, annonçant l’approche du
printemps, et j’accélérai encore le pas, fonçant vers le sud le long du Danuvius.
Nous parvînmes rapidement à la base navale de la flotte
pannonienne à Mursa et tandis que Frido la parcourait nez au vent, rencontrant
les premiers Romains de son existence, je me présentai au navarchus de
la flotte et lui exhibai mon certificat de maréchalat dûment
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