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Théodoric le Grand

Théodoric le Grand

Titel: Théodoric le Grand Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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et ses porteurs, titubant tels des hommes
ivres, firent demi-tour et, traversant la rivière, emportèrent la litière,
secouée d’embardées et de cahots, vers la rive opposée.
    Frido me demanda, d’un ton incertain :
    — La guerre ne va pas avoir lieu ?
    — Pas aujourd’hui, fis-je en lui souriant. Celle-ci, tu
l’as gagnée.
    Alors se produisit le dernier événement important de cette
journée, que les historiens mentionnent aujourd’hui encore dans leurs livres
avec un respect teinté d’effroi. Strabo continuait de gesticuler dans sa
litière avec une telle furie que ses porteurs avaient du mal à hisser leur
fardeau sur la rive. Sortant des troupes les plus proches, quelques lanciers
coururent vers le bord afin de leur prêter main-forte. À cet instant, une
secousse plus forte ébranla la litière et le tronc de Strabo en jaillit face
aux yeux de tous, torse épais vêtu d’une tunique coupée court d’où n’émergeaient
qu’une tête barbue et quatre souches battant désespérément l’air de détresse.
Une seconde, l’homme-tronc fit penser de façon saisissante à l’image d’une
carcasse de goret pendue à son crochet sur l’étal d’un boucher.
    Les livres d’histoire actuels ne conservent que de vagues
traces des faits survenus à l’époque, du règne tyrannique et des atrocités
commises par le nommé Thiudareikhs Triarius, dit Strabo. Mais tous racontent
comment, après avoir ôté la vie à tant de guerriers, survécu à tant de batailles
et même récupéré d’une infecte mutilation qui eût dû l’emporter, Strabo trouva
par accident une mort ignominieuse. Il fut éjecté de sa litière et s’enfonça
sur la pointe de la lance d’un des soldats accouru à son aide. L’homme vacilla
sous ce choc soudain, et ses camarades bondirent pour tenter confusément
d’empêcher la lance de basculer. Aussi la dernière vision que j’eus de Strabo
fut celle de son tronc empalé oscillant brièvement en l’air, avant que le poids
mort ne fasse pencher et s’effondrer la lance, et qu’il disparaisse parmi les
piétinements de ses derniers fidèles [54] .
     
    *
     
    Devant un verre de vin, ce soir-là, dans la tente de
Théodoric, lui, Soas et moi évoquâmes les événements de la journée écoulée.
    Secouant d’un air sombre sa tête argentée, Soas
déclara :
    — Strabo n’a certainement pas cherché la mort sans
gloire qui est venue le faucher. Mais il aurait pu le faire, si l’on songe à la
double humiliation qu’il venait de subir. D’abord on lui a refusé la bataille,
puis son principal allié l’a laissé tomber devant tous ses hommes.
    —  Ja, il était fini, et il le savait, appuya
Théodoric. Toutefois, je suis heureux que le monde soit désormais débarrassé de
lui. Il était une souillure sur la mémoire d’Amalamena, ma sœur regrettée. J’ai
tout lieu de penser à présent qu’elle, ainsi que la femme qui l’a
courageusement remplacée entre ses serres et toutes les autres victimes de
Strabo, seront satisfaites du sort qui lui a été infligé.
    « Elles le sont, vous pouvez en être sûr »,
pensai-je. Je savais combien l’une au moins l’était… puisque c’était moi.
    — Et depuis sa disparition, poursuivit Soas, ce sont
des bataillons entiers de Strabo qui, désespérés, ont franchi la rivière pour
se joindre à nos forces. Quant à ses autres alliés, ce ramassis de Scires et de
Sarmates, ils se sont tout bonnement évaporés.
    — Il y a encore de meilleures nouvelles, ajouta
Théodoric. Au lieu de rentrer chez lui à marche forcée avec ses hommes, le roi
Feva a offert de mettre toutes ses troupes à ma disposition.
    Sardonique, je fis remarquer :
    — Feva ne doit pas être pressé d’aller retrouver sa
reine, Giso. Ce n’est pas moi qui l’en blâmerai. Au fait, je ne l’ai pas vu de
près. Est-il vrai que son nez est plus petit que la moyenne ?
    Mes deux interlocuteurs battirent des paupières et
manifestèrent leur étonnement, puis Théodoric enchaîna :
    — Ma foi, il est ruge, n’est-ce pas ? Il ne peut
donc pas avoir le nez proéminent des Romains… Mais pourquoi cette
question ?
    Je leur racontai en riant l’empressement de la reine Giso à
l’égard de mon compagnon Maghib, en raison de la taille de son nez, et ses
déductions quant à celle de ses attributs virils ou à ses prouesses sexuelles.
    Les deux hommes éclatèrent de rire, et Théodoric dit :
    — Je me demande comment ce vieux mythe

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