Théodoric le Grand
mannamavi, une question m’avait encombré l’esprit. Après Thor-Geneviève, me serait-il
encore possible de connaître le plaisir dans l’étreinte d’un homme ou d’une
femme ? Je comptais bien dès la première nuit de mon retour chercher au
moins la moitié de la réponse auprès d’un de mes esclaves, mâle ou femelle.
On m’avait dit que la blonde jeune femme suève, Renata,
avait durant ma longue absence épousé un de mes jeunes esclaves, aussi
renonçai-je de bonne grâce à exercer sur elle mes droits de propriétaire. J’eus
donc recours aux services de la brune Naranj, digne fleuron du peuple alain,
dont le meunier de mari avait toujours considéré comme un honneur de la prêter
à son fráuja. À ma grande joie – grâces en soient rendues à
l’enthousiaste collaboration de la belle Naranj –, je redécouvris qu’il
n’était pas absolument nécessaire, une fois dans un lit, d’éprouver en une
seule fois toutes les variétés de pénétrations, d’étreintes et d’accouplements.
Je fus heureux de me rendre compte à nouveau que s’il est des limites physiques
aux façons dont une femme peut donner du plaisir, en recevoir et en prendre,
les moyens de le faire sont extrêmement nombreux, et tout aussi variés que
délectables. Et dès la nuit suivante, en amenant dans ma maison de Novae un
jeune négociant rencontré sur la place du marché, j’eus la confirmation, en
tant que Veleda, que la réciproque était tout aussi valable avec un amant
masculin.
*
Cinq ou six jours plus tard, non loin du village appelé
Romula, je me trouvais en selle sur Velox, en armure et muni de tout mon
équipement, le regard fixé sur un mince filet de rivière aux eaux peu
profondes. Le prince Frido, sans armes ni armure, se tenait à côté de moi,
juché sur son hongre bai. À quelque distance derrière nous, attentive aux
ordres de Théodoric, sa formidable armée stationnait, immobile. De l’autre côté
de l’étroite rivière, les troupes de Strabo, elles aussi, étaient à l’arrêt.
Leur attention, comme la nôtre, était fixée sur l’îlot dénudé émergeant au
milieu du courant, lieu choisi par Strabo pour l’entretien préalable. Huit
hommes s’y trouvaient, sept seulement étaient visibles.
Notre camp était représenté par le roi Théodoric et le Saio Soas. Le roi Feva était également présent, et quatre porteurs soutenaient la
litière de Strabo, une caisse garnie de rideaux piquée au bout de quatre
perches. Il était clair que l’homme-cochon avait désigné cet îlot comme lieu de
rendez-vous afin de demeurer autant que possible hors de vue de son armée comme
de la nôtre. Il ne pouvait en effet laisser voir de sa personne que sa tête
émergeant des rideaux, posture qui manquait singulièrement de la dignité
afférente à un chef d’armée.
Je m’inclinai vers Frido et lui demandai :
— Tu reconnais ton père, là-bas ?
— Ja, ja ! fit-il, s’agitant joyeusement
sur sa selle.
Très vite, je le mis en garde.
— Ne, ne fais aucun signe et ne crie pas. Tu vas
pouvoir le rejoindre sous peu. Pour l’instant, garde le silence, comme nous
tous.
L’enfant obéit sans discuter, mais il semblait légèrement
désorienté, et cela depuis notre arrivée à Novae. Il fallait le comprendre. Ni
moi ni mes serviteurs n’avions encore expliqué à Frido que j’étais du côté de
Théodoric, et qu’il n’était lui-même qu’un otage entre ses mains. Pour venir à
Romula, j’avais pris soin de chevaucher à ses côtés en arrière des troupes de
Théodoric : ainsi, il n’avait pas pu se rendre compte qu’il cheminait avec
une armée hostile à celle de son père. Maintenant encore, il ignorait tout de
cette entrevue, y compris à quel camp appartenaient ses participants.
De chaque côté, les deux armées s’efforçaient de maintenir
le silence le plus total, contenant les hennissements de leurs chevaux, et
évitant le plus possible de faire tinter leurs armures ou gémir leurs harnais.
Tous essayaient de capter la teneur de l’entretien, dont la part essentielle
était assurée par cette voix rude et râpeuse que je connaissais bien, celle de
Strabo. Il tentait de toute évidence de stimuler ses forces et de décourager
les nôtres en faisant en sorte que tous entendent les imprécations accusatrices
dont il accablait Théodoric.
— Cousin renégat ! Amale réprouvé ! Tu as
fait de nos fiers Ostrogoths des lèche-bottes ! Sous ta
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