Théodoric le Grand
cet instrument si long qu’il faut deux hommes
pour le transporter.
Défilant au rythme de cette musique martiale, nous
arpentâmes la large avenue de la Mese, où les foules alignées des deux côtés
nous lancèrent de chaleureux níke ! et autres blépo ! et íde ! tandis que les enfants jetaient des pétales de fleurs.
Nous autres Ostrogoths portions les armures et autres
ornements auxquels j’étais depuis longtemps habitué, mais je découvris ici et
pour la première fois des légionnaires romains en tenue de parade. Ils
arboraient de flamboyantes armures de cuir multicolore, et portaient des
plumets fixés au sommet de leurs casques, eux-mêmes d’une structure plutôt
curieuse. En effet, alors que le casque de tous les jours ne protège que le
crâne, le front et les joues, celui-ci leur couvrait entièrement le visage,
avec juste deux trous percés pour les yeux. Les légionnaires portaient aussi
quantité de drapeaux, étendards et autres oriflammes, tous aussi éclatants les
uns que les autres, dont beaucoup n’étaient pas de simples morceaux de tissu
mais imitaient ingénieusement la forme d’animaux. Certains représentaient par
exemple des dragons, et les rubans multicolores tressés dans de longs tubes
semblaient véritablement, sous le souffle du vent, onduler et même siffler tels
des serpents.
Quand nous atteignîmes le forum de Constantin, Zénon en
personne nous y attendait, et il escorta Théodoric, depuis son char jusqu’à une
plate-forme ornée de guirlandes de fleurs. Marcheurs, cavaliers et musiciens
continuèrent à avancer en procession autour de la haute colonne centrale du
forum, défilant ainsi devant les deux monarques. Chacun des groupes, en passant
devant la plate-forme, rugissait Io triumphe ! et saluait à la
romaine, en levant le poing, ou comme le font les Ostrogoths, le bras droit
tendu. Chaque cri était repris en écho avec enthousiasme par la foule des
citadins assemblés autour de la place, et résonnait longuement : Io
triumphe ! Ensuite, Zénon et Théodoric se dirigèrent vers l’église
Sainte-Sophie pour y faire leurs dévotions.
En ressortant de l’église, Théodoric lança l’ordre
« Rompez ! ». Dès que la consigne, relayée par les officiers,
eut descendu et remonté l’ensemble des colonnes, les acteurs du Triomphe se
dispersèrent. Alors sortirent de toutes les cuisines de la ville des obsonatores [55] portant des plateaux de toutes tailles lourdement chargés de victuailles ainsi
que des aiguières, des amphores et des pichets pleins à déborder. Et tous,
soldats comme spectateurs, fondirent avec le même appétit sur cette abondance
de mets, tandis que les personnes de plus haut rang dont nous faisions partie
étaient invitées à se rendre au Palais de Pourpre, où les attendait un banquet
plus raffiné encore.
Nous fûmes escortés jusqu’au plus luxueux triclinium du palais, le Salon des Dix-neuf Couches. En raison de ce nombre réduit de
places disponibles, seuls les invités d’un statut égal au mien, à celui de Soas
ou de l’évêque Akakiós furent admis à y prendre place, reléguant ainsi
sénateurs, magistrats et ecclésiastiques de second rang dans une autre salle à
manger. Tandis que notre petit groupe de privilégiés s’allongeait, et
commençait à goûter aux plats délicats préparés à notre intention –
poitrine de faisan marinée au vin de framboise et chevreau rôti nappé de garum [56] , le tout
arrosé d’un vin fin de Chios –, j’entendis l’impératrice Ariane, femme
robuste et entre deux âges mais encore plutôt belle, complimenter Théodoric
pour son consulat.
— Même les petites gens semblent approuver votre
nomination, fit-elle. Avez-vous vu avec quelle fougue le polloi [57] vous a acclamé ? Vous pouvez être fier, Consul.
— J’essaierai de rester humble, Majesté, fit Théodoric
d’un ton enjoué. L’empereur Caligula n’avait-il pas attribué cette fonction à
son cheval ?
Cette boutade fit rire l’impératrice. De son côté, Zénon
semblait passablement irrité de constater qu’à l’évidence, ce déploiement
d’honneurs ne parvenait pas à lui apporter l’affection fraternelle de
Théodoric. Il ne se découragea pas pour autant. Durant les jours et les
semaines qui suivirent, il continua à combler Théodoric de faveurs et de
cérémonies destinées à lui rendre honneur, auxquelles les membres de sa suite
furent bien évidemment invités à prendre part. Je
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