Théodoric le Grand
l’as même rencontré en personne !
Nos yeux de maréchaux se croisèrent, et au sourire de
Théodoric, nous comprîmes à la même seconde.
J’articulai son nom dans un souffle :
— Aúdawakrs…
— Odo acer Rex, fit Soas en écho.
Alors, à l’unisson, nous ne prononçâmes qu’un seul
mot :
— Rome.
CONQUÊTE
21
Le dicton l’affirme, tous les chemins mènent à Rome. Mais pour
y parvenir il y aurait un long chemin, et cela nous prendrait du temps.
Théodoric dut d’abord se rendre à Constantinople. Il y alla
avec moi, Soas, ses généraux Pitzias et Herduic ainsi qu’un respectable corps
de ses troupes, car il avait été mandé dans la capitale pour s’y voir décerner
un honneur encore jamais accordé par un empereur romain à un étranger. Ayant
appris la victoire sans effusion de sang remportée sur Strabo, l’empereur Zénon
avait insisté pour que Théodoric vienne dans sa capitale afin d’y être trois
fois récompensé : d’un Triomphe, du titre de Flavius, et de la charge de
Consul impérial pour l’année.
Nombre de généraux romains, comme récompense de leurs
conquêtes, s’étaient déjà vu accorder cette grande cérémonie publique appelée
le Triomphe. Beaucoup de citoyens romains – et même quelques
non-citoyens – avaient le droit d’ajouter devant leur nom le titre
honorifique (nomen gentilicus) de Flavius. Enfin, chaque année, au moins
un notable romain était désigné comme Consul de l’Empire pour l’année, souvent
d’ailleurs après s’être ruiné pour acheter cet honneur. Mais Théodoric fut le
premier et le seul Goth à obtenir ces trois distinctions à la fois.
Certains prétendirent plus tard que Zénon avait ainsi voulu
corrompre Théodoric ; pour ma part, je le perçus plutôt comme une faveur
accordée sans arrière-pensées. Depuis que l’empereur avait octroyé à Théodoric
le titre de roi des Ostrogoths et l’avait nommé commandant en chef de la
défense de la frontière danubienne, Zénon avait été loyalement servi ; ses
volontés avaient été scrupuleusement exécutées, et on lui avait toujours
témoigné un respect sans reproche. Mais Théodoric avait tenu à ne compter que
sur lui-même, déclinant par exemple les renforts de troupes offerts par
l’empereur lors de la répression de la révolte fomentée par Strabo. Désormais,
me semblait-il, Zénon était désireux de tisser entre eux d’autres liens que
ceux de maître à subordonné ; il cherchait à établir des rapports
d’égalité et de complicité, entre deux hommes de bonne volonté.
C’est ainsi qu’aux côtés de Flavius Amalus Teodoricus suivi
de sa troupe, cavaliers superbement caparaçonnés, j’eus le privilège de
remonter la Via Egnatia et de franchir la Porte d’Or de Constantinople. Sous
ses trois arches nous attendait une foule de sénateurs, de magistrats et de
hauts dignitaires de l’Église de l’Empire d’Orient. Théodoric descendit de
cheval pour y recevoir la couronne de lauriers de la main même d’Akakiós, le
patriarche de la cité, qui salua en lui le Christianorum Nobilissime et
Nobilium Christianissime : le plus noble des chrétiens et le plus
chrétien des nobles. Les sénateurs lui passèrent la toge brodée pourpre et or
et lui décernèrent le sceptre, lui conférant le titre de « Patrice »
et lui souhaitant bonne réussite pour sa charge de Consul ordinaire, en cette
année 1237 de la fondation de Rome, an 484 de Notre Seigneur dans le
calendrier chrétien. Théodoric monta alors dans le char de forme circulaire
réservé aux Triomphes, maintenant ses quatre chevaux au pas pour que pût
s’avancer devant lui le corps de dignitaires qui constituait sa garde
d’honneur. Avec mon camarade le maréchal Soas, nous chevauchions juste derrière
Théodoric, suivis de nos guerriers. Comme nous ne formions pas un contingent
très considérable et n’avions pas de captifs ou de prises de guerre à exhiber,
Zénon nous adjoignit les colonnes de fantassins et de cavaliers de sa III e Légion
de Cyrénaïque, et plusieurs orchestres jouant de la musique militaire. Il y
avait bien sûr nombre de tambours et de flûtes, mais aussi une incroyable
variété d’autres instruments : la trompette d’infanterie en cuivre, celle
plus légère de la cavalerie, en bois et cuir, la corne incurvée appelée bucina (buccin) que le joueur se passe derrière l’épaule, la longue trompette appelée
tuba, et puis le lituus,
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