Théodoric le Grand
territoire d’Occident, que
vous aurez tout loisir de nourrir l’armée grâce aux razzias et aux pillages.
Théodoric fronça les sourcils.
— Cela signifie qu’il nous faudra emporter des vivres
de subsistance sur trois cents milles romains. Et pour rassembler cette masse
de provisions, nous devrons attendre la prochaine récolte. Ensuite, le temps
d’atteindre la Pannonie, l’hiver sera arrivé. Nous devrons camper sur place
jusqu’au retour du printemps. Il nous restera alors quatre cents milles à
parcourir jusqu’aux frontières de l’Italie. Suivant l’endroit où nous
rencontrerons les premières forces d’Odoacre, nous pourrions ne commencer à en
découdre avec lui que l’été suivant.
Zénon haussa les épaules.
— Vous m’avez prévenu que la victoire ne serait pas
l’affaire d’une nuit.
— Très bien, fit Théodoric, redressant les épaules. Je
comprends ma mission et mon objectif, et j’entrevois ce qu’il sera nécessaire
d’organiser. Puis-je à présent avoir l’audace de vous demander ce que j’ai à y
gagner ?
— Mais tout. La totalité de la péninsule italienne. La
terre vénérable du Latium, où est né et d’où a fleuri le plus grand empire
jamais connu. Rome, la Cité éternelle, qui fut le centre du monde. La capitale
impériale de Ravenne. Toutes les riches autres cités, ainsi que les terres
prospères qui les séparent. Renversez Odoacre Rex, et vous deviendrez
Teodoricus Rex.
— Rex… Rex…, répéta Théodoric, pensif. Le titre est
redondant. Mon propre nom, Thiudareikhs, contient déjà ce titre.
L’interprète de Zénon n’eut pas la partie facile pour lui
traduire ces propos, et il parut encore moins à l’aise lorsqu’il dût
transmettre la question suivante de Théodoric :
— Et que serai-je ensuite vis-à-vis de vous, Sebastós ?
Votre allié, votre subordonné… ou juste votre esclave ?
Pendant un long moment, le regard dont le couvrit l’empereur
fut tout sauf engageant. Puis sa face couleur brique se détendit, et il fit
aimablement :
— Comme vous le soulignez, les titres sont par essence
ambigus, faciles à décerner, quand on y songe. Et nous sommes tous les deux
bien conscients que vous êtes le seul homme à pouvoir remplir cette mission
pour moi. Aussi ne resterai-je pas dans l’équivoque. Si vous parvenez à
arracher à Odoacre la péninsule italienne, vous la gouvernerez comme mon
député, mon vicaire, mon homme de confiance, sans vous préoccuper de moi.
Faites-en, si tel est votre désir, la nouvelle terre des Ostrogoths. Elle est
bien plus fertile, bien plus belle, bien plus précieuse que celles de Mésie
actuellement occupées par votre peuple. Et tout ce que vous pourrez alors
construire ou conquérir, fût-ce même la reconstitution de l’Empire romain
d’Occident disparu, dans toute sa grandeur et toute sa gloire, tout restera
votre propriété indiscutable. Vous y gouvernez en mon nom, mais… vous
gouvernerez vraiment.
Théodoric prit le temps de peser ces paroles. Puis il
sourit, inclina la tête devant l’empereur, se tourna vers nous pour en faire
autant, et dit simplement :
— Habdi ita swe. Eíthe hoúto naí. Qu’il en soit
ainsi.
*
En revenant vers la Mésie, nous voyageâmes tous ensemble
jusqu’à Hadrianopolis. Là, Théodoric, Soas, Pitzias et Herduic prirent chacun
la tête d’une partie de nos troupes, et partirent dans différentes directions
de l’ouest à l’est, avec pour mission d’aller à la rencontre de chaque clan,
tribu, famille susceptible de fournir de nouvelles recrues à notre armée. Pour
ma part, je chevauchai droit sur Novae, avec deux soldats pour toute escorte.
Théodoric m’avait chargé d’achever mon Histoire des Goths. S’il était destiné à
devenir un roi encore plus illustre, il faudrait que les archives de son peuple
et sa propre généalogie soient prêtes à être lues et appréciées à leur juste
valeur par tous les autres monarques.
Je me retirai donc dans ma ferme et m’appliquai à donner à
cette histoire une forme écrite cohérente et achevée. Je fis bien sûr ce qu’on
est en droit d’attendre du biographe d’un grand homme ; j’ajoutai ce qu’il
fallait de lustre et d’illustre à son épopée, même si ce n’était pas
indispensable. J’exagérai habilement l’importance de certains faits
historiques, j’en estompai quelques autres, omettant même totalement un petit
nombre d’entre eux, et je reliai
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