Théodoric le Grand
pour décourager ce genre de pratiques…
— Attendez donc, l’interrompis-je en riant,
l’illumination m’étant soudain venue. Vous voulez parler de ce passage de la
lettre de saint Paul aux Corinthiens, où il dit : « J’aurais beau
parler toutes les langues de la terre et du ciel, si je n’ai pas la charité,
s’il me manque l’amour… »
— Exactement ! pavoisa le prêtre avec exubérance.
« … je ne suis qu’un cuivre qui résonne, une cymbale retentissante. »
Regardez là, sur l’arbre. Des trompes de cuivre, des cymbales, des tambourins,
tout ce qui peut faire ce genre de bruits sans queue ni tête. Et là, derrière
le pupitre, nous avons recréé un saint Paul plus vrai que nature, en train de
délivrer son admonition : « Je préfère dire cinq paroles
intelligibles, afin de pouvoir en instruire les autres, que dix mille paroles
en jargon. »
Je remerciai le prêtre pour ces lumineuses explications, le
gratifiai d’hypocrites exclamations ébaubies censées exprimer mon admiration,
et lui souhaitai, ainsi qu’à son église, de fructueux profits pour récompenser
leurs efforts. Puis je me remis en chemin, secouant la tête d’amusement
émerveillé.
*
Dès mon retour à Constantinople, je me présentai
immédiatement auprès de Théodoric. Je le trouvai dans ses appartements, en
train de câliner sur ses genoux une des plus jolies servantes khazars du
palais, un malicieux petit sourire satisfait sur les lèvres. Le maréchal Soas
et les généraux Pitzias et Herduic, également présents, semblaient pour leur
part aussi contrariés que préoccupés. Ils ne m’accordèrent que de brefs coups
de menton en signe de bienvenue, tout occupés à morigéner leur roi :
— La victime était tout sauf n’importe qui…, récriminait
Herduic.
— C’est une inqualifiable insulte à l’hospitalité,
renchérissait Pitzias, une atteinte à vos fonctions et une grave offense à
l’empereur.
— Zénon doit être abasourdi, grogna Soas. Outragé…
Furieux…
Mais Théodoric m’interpella avec allégresse :
— Háils ! Saio Thorn ! Tu reviens
juste à point pour me voir accusé, traduit en justice et vraisemblablement
condamné sous peu.
— Hein ! Mais pourquoi diable ?
— Akh, rien de très grave. Ce matin, j’ai commis
un petit meurtre.
22
— Ça, un meurtre ? Foutaises ! ironisa Zénon.
Parfaitement justifiable. L’individu en question n’était qu’une nullité
ambulante, un étron humain.
Nous eûmes un soupir de soulagement, mon camarade maréchal,
les deux généraux et moi-même. Tous, hormis Théodoric, nous étions imaginés
exécutés et pendus aux murailles de la ville. Sans avoir l’air de s’excuser un
seul instant, Théodoric dit à l’empereur :
— Je voulais juste éliminer ce dernier rappel de
l’indignité commise à l’égard de ma royale sœur.
Il m’avait déjà raconté comment, ayant rencontré par hasard
le jeune homme dans la rue, il avait reconnu la « face de goujon » de
Recitach, et comment, sur-le-champ, au vu de tous et en plein jour, il avait
tiré la dague de sa ceinture et poignardé le fils de Strabo.
— Il n’en reste pas moins, continua Zénon sans que le
moindre sourire ne vienne égayer son visage de brique, que c’est un acte plutôt
malvenu de la part d’un homme qui portait l’année dernière encore la toge et la
ceinture d’un Consul romain. La pourpre ne confère nullement l’impunité,
Théodoric. Je ne puis laisser penser à mon peuple que mon grand âge est en
train de me rendre sénile et permissif à ce point. C’est ce qu’ils se diraient,
s’ils devaient continuer à vous voir déambuler librement dans la cité
impériale.
— Je comprends parfaitement, Sebastós, admit
Théodoric. Vous allez devoir m’expulser de Constantinople.
— Je vais le faire. J’aimerais vous envoyer à Ravenne.
Théodoric leva les sourcils.
— Un homme d’une nature combative telle que la vôtre
mérite un adversaire bien plus digne qu’un lamentable prince sans couronne
comme ce Recitach.
— Un roi, peut-être ? répliqua Théodoric d’un ton
badin. Vous aimeriez que j’aille embrocher le roi de Rome ?
— Tout au moins mettre un terme aux ambitions
démesurées de cet homme, précisa Zénon.
Nous échangions tous des regards en silence.
Après une longue période d’hésitation, l’empereur dévoilait
enfin son jeu.
— Odoacre a abusé de ma patience,
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