Théodoric le Grand
la campagne
durant pas mal de temps. Leur mission de recrutement était devenue plus
compliquée que par le passé, lorsque la simple mention d’un projet de guerre
aurait suffi en un instant à rallier à notre armée tout Ostrogoth apte au
combat. Depuis que le peuple de Théodoric s’était sédentarisé sur les terres de
Mésie, les anciens soldats étaient devenus pour la plupart fermiers, éleveurs,
artisans ou marchands, des hommes ayant bâti un foyer et attachés à un métier,
une femme et une famille. Comme le Cincinnatus de légende, ils répugnaient
légitimement à être arrachés à leurs sillons labourés et à leurs habitudes.
Aussi les premiers qui rallièrent les couleurs de Théodoric venaient-ils
principalement de tribus dépourvues de terres et n’ayant aucun lien avec les
Ostrogoths, parfois des nomades, voire de véritables barbares. Et puis bien
sûr, quand le bruit courut qu’il ne s’agissait pas là d’une guerre banale, mais
de la conquête de toute l’Italie, même les plus sédentaires ne purent résister
à l’attrait de pillages qui promettaient d’être sans précédent. Alors, les
anciens guerriers abandonnèrent leurs occupations quotidiennes, leur léthargie
de cette période pacifique et leurs accaparantes compagnes pour retourner au
combat.
De nombreuses recrues – je parle ici des hommes
d’expérience, entraînés, rompus aux pratiques militaires, en somme des vrais
soldats – vinrent, et c’était sans précédent, des légions romaines.
Théodoric s’en tenait au principe selon lequel aucune légion ne devrait être
opposée à une autre, mais le fait est que toutes celles situées en dehors de
l’Italie comptaient une majorité de soldats d’origine germanique. Parmi les
forces du Danuvius placées sous l’autorité de Théodoric figuraient la I re légion
Italica, la VII e Claudia et la V e Alaudae. De
très nombreux officiers et hommes du rang s’adressèrent à leurs supérieurs pour
leur présenter leur démission, solliciter un congé temporaire ou requérir un
service en détachement – quand ils ne désertèrent pas purement et
simplement – afin de rejoindre l’armée de nos Ostrogoths. Qu’ils nous
aient ralliés par attachement à Théodoric ou simplement par attrait du lucre et
des promesses de pillage, ces professionnels furent bien reçus. Mais je ne pus
m’empêcher de penser, avec une once de regret, que d’aussi massives défections
auraient été inimaginables aux grands jours de l’Empire.
Lorsque notre armée se trouva en ordre de marche, elle
comptait près de 26 000 hommes, grâce à l’engagement de nouvelles recrues
et au ralliement d’anciens guerriers. Si l’on ajoutait les 8 000 Ruges du
roi Feva, cela constituait un total de 34 000 fantassins et cavaliers au
service de Théodoric, soit l’équivalent de plus de huit légions romaines. La
préparation de ces hommes nécessitait encore du temps, et Théodoric dut se consacrer
à ce formidable travail dès son retour à Novae.
Ces forces devaient toutes être réparties et organisées en
légions, cohortes et centuries aisément maniables, sans compter les rangs
inférieurs comme les contubernia et les turmae, et à chaque
niveau, des officiers devaient être nommés. Les recrues de dernière minute
allaient recevoir un véritable entraînement de formation ; quant à ceux
qui avaient abandonné depuis longtemps la pratique des armes, un rappel de leur
maniement s’imposait. Certains étant venus sans monture, il faudrait récupérer
des chevaux, les entraîner à guerroyer, et même, parfois, les dresser. Des
chariots de transport de vivres devaient être rassemblés, et il faudrait en
construire de nouveaux. Pour les catapultes de siège, on allait devoir tisser
de nouvelles cordes et tailler quantité de rondins de chêne vert, et il
faudrait trouver de solides bœufs pour tirer ces engins massifs. Il fallait
fabriquer des armures pour les hommes qui n’en disposaient pas, quand ce
n’était pas l’équipement qui leur faisait défaut, à commencer par les bottes.
On allait devoir forger des épées, des lances et des poignards, et prévoir en
quantité suffisante de quoi remplacer celles qui seraient abîmées ou perdues.
Des milliers de flèches seraient taillées, empennées et pourvues de pointes,
tandis que l’on tresserait et surlierait des cordes de rechange pour les arcs.
Il fallait également prévoir suffisamment de nourriture pour tout
Weitere Kostenlose Bücher