Théodoric le Grand
gravée en relief une statue montrant le roi sur son cheval.
De chaque côté de cette partie centrale s’allongeait une galerie sur deux
étages, le plus bas comptant trois arcades, et le plus haut cinq. Des statues
de victoires surmontaient ces dix arches supérieures et des sculpteurs venus de
Grèce étaient en train de les façonner, tandis que d’autres travaillaient déjà
aux figures bien plus imposantes destinées à trôner sur le toit du bâtiment. Il
y aurait là une majestueuse statue équestre de Théodoric, montrant le roi armé
d’un bouclier et d’une lance, servi par deux figures féminines représentant
Rome et Ravenne, le tout recouvert de feuilles d’or. Lorsqu’elle serait
achevée, cette sculpture serait si énorme que le reflet du soleil sur sa dorure
suffirait à guider les marins arrivant de l’Adriatique dans le port de Classis.
La cathédrale Saint-Apollinaire, quant à elle, ainsi
baptisée en mémoire d’un ancien évêque arien, était la plus grande église
arienne du monde. Et à ma connaissance, c’est encore le cas aujourd’hui. Elle
possède aussi un attrait que je n’ai vu dans aucune autre église. Le long de
chacune des deux nefs latérales, vingt-quatre colonnes, soit douze de chaque
côté soutiennent de riches panneaux de mosaïques représentant de brillantes
figures sur un fond bleu sombre. Le long du mur de droite, là où se tiennent
les hommes, ces mosaïques représentent le Christ, ses apôtres et un chapelet
d’autres saints, figures masculines habituelles de la Bible. Mais le panneau
longeant le mur de gauche, là où se tiennent les femmes de la congrégation, ne
montre que des personnages féminins : la Vierge, Marie-Madeleine et
d’autres femmes du Livre saint. Je n’ai pas eu connaissance dans d’autres
églises d’un tel geste de reconnaissance à l’égard des paroissiennes. Un autre
grand chantier, tout aussi stupéfiant et actif, avait été engagé un peu partout
dans Ravenne pour rendre la cité réellement vivable. Il s’agissait rien moins
que du drainage des marais empestés de miasmes et de vermine sur lesquels était
implantée la ville. Des milliers d’hommes, aidés de centaines de bœufs, avaient
creusé dans la terre plate et humide des rigoles et des tranchées, et l’eau s’écoulait
des premières vers les secondes pour être conduite dans de plus profonds fossés
qui la menaient à leur tour vers de larges canaux de pierre et de terre de fer
évacuant les effluents en bout de course dans la mer. Ce travail ne pouvait
bien sûr être mené à bien en l’espace de quelques années. Il est toujours en
cours et durera sans doute encore quelques décennies. Mais à l’époque où je vis
à l’œuvre les premiers ouvriers drainant la zone, les canaux transportaient
déjà une eau presque aussi claire et inodore que celle qui jaillissait des
fontaines.
Ce fut le jeune Boèce, magister officiorum, qui me
guida dans la ville et me montra tous ces travaux. L’une de ses tâches de
maître des Offices consistait à chercher et trouver des spécialistes tels que
les architectes, les artificiers ou les sculpteurs, qu’il devait parfois faire
venir d’assez loin.
— Quant à ceci, m’indiqua-t-il fièrement, me montrant
un autre vaste édifice en construction, ce sera le mausolée de Théodoric.
Souhaitons que la déesse Fortune lui accorde de nombreuses années avant de
l’occuper.
Le monument, d’aspect à la fois solide et tranquille, était
fait de blocs de marbre. Haut de deux étages, il affectait une forme
décagonale, mais la haute salle intérieure était ronde, et attendait d’être
coiffée d’un dôme.
— Cela dit, pas n’importe quel dôme, précisa Boèce. Il
s’agit d’un bloc de marbre d’un seul tenant, soigneusement arrondi par les
sculpteurs. Le voyez-vous, posé là-bas ? Cet énorme monolithe a été
extrait des carrières de l’Istrie. Je vous laisse imaginer les efforts qu’il a
fallu déployer pour le transporter jusqu’ici. Son poids est estimé à plus de
six cents libramenta [129] .
— Théodoric devrait pouvoir y reposer assez
confortablement, fis-je. Il aura assez de place, là-dedans, pour s’étirer et
remuer durant son sommeil.
— C’est que… il n’a pas prévu d’y reposer seul, ajouta
Boèce d’un air contrarié. Ce tombeau devra également abriter ses descendants.
Justement, sa femme Audoflède vient d’avoir son premier enfant, saviez-vous
cela ? Oui, encore
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