Théodoric le Grand
qu’une confrontation
ouverte. Il les prive du plaisir et de tout l’honneur du martyre… S’ils
souffrent, c’est précisément de ne pas avoir à souffrir pour leur Mère
l’Église.
— Vous avez probablement raison.
— Ce qu’il y a de pire, c’est qu’il a repoussé les
catholiques dans une région où ils avaient eu l’impression de progresser.
— Vous plaisantez ? Il n’a strictement rien tenté
contre eux.
— Bien sûr que si, en les ignorant ! Considérez la
situation d’Anastase. Quand celui-ci a été investi de la couronne impériale, a
revêtu la robe de pourpre et a accepté les différents sceptres marquant la
dignité de l’empereur d’Orient, il les a reçus des mains mêmes du patriarche de
Constantinople. À cet instant précis, il était incliné aux pieds de l’évêque,
dans l’humiliante position de la proskynèse. Théodoric en a-t-il eu besoin ?
Il a conquis son trône sur les champs de bataille et par l’acclamation du
peuple, sanctionnée ensuite par un vote formel du Sénat. Contrairement à
Anastase, jamais il n’a eu à demander ni bénédiction divine, ni approbation
d’une quelconque obédience religieuse. Il n’a pas été couronné par un évêque de
sa foi arienne, et moins encore par le soi-disant pape de Rome. Il a tenu à
distance les évêques de la chrétienté. Croyez-moi, celui de Rome en a été
profondément ulcéré.
Un peu plus tard, au lupanar, ma rencontre avec la fille du
peuple des Sères fut une si délicieuse expérience que je fus sérieusement tenté
d’en commander une au fournisseur local d’esclaves. Aussi exotique de traits
que de couleur, elle avait la peau douce, lisse et soyeuse comme l’étoffe qui
vient de son pays. Elle ne parlait aucun langage humain, se contentant de
pépier tel un oiseau, mais compensa cette déficience par un réel talent
amoureux. C’était une véritable gymnaste, une contorsionniste au premier sens
du terme, et elle était incroyablement étroite, comme me l’avait laissé espérer
sa petite bouche en bouton de rose. En quittant l’endroit, je demandai à
Apostolidès, le tenancier, si la jeune fille avait bien le tempérament de
chipie et de mégère auquel on pouvait s’attendre chez une Occidentale à petite
bouche.
— Pas le moins du monde, Saio Thorn. Je crois
savoir que toutes les filles de ce peuple sont dotées d’une bouche aussi
étroite et le sont également dans leurs attributs intimes. Celle-ci, d’après ce
que j’ai compris, a même une bouche un peu plus large que ses congénères, d’où
sans doute sa douceur et son inaltérable bonne humeur. Peut-être ses
compatriotes un peu plus pincées se rapprochent-elles davantage du mauvais
caractère que vous évoquez chez nos filles d’Occident, qui sait ! Mais
cela dit… vous êtes-vous un instant figuré combien elles doivent être
étroites ?
Toujours est-il que je résistai à la tentation de m’en
procurer une pour mon propre plaisir, décidant que mon argent serait mieux
utilisé à de moins frivoles exigences. Et lorsque je quittai Noviodunum, ma
barge était pleine à craquer de garçons et de filles d’un aspect plus familier,
pour la plupart des Khazars, des Tcherkesses et des Grecs. Durant le long
voyage de remontée du fleuve, j’eus le temps de commencer leur éducation, leur
enseignant leurs premiers rudiments de latin, avant de les confier aux soins
attentifs de mes tuteurs à l’académie de Novae.
*
Lorsque je regagnai Ravenne, le long de la Via Popilia
désormais plane et agréable, la cité avait énormément gagné en grâce et en
harmonie. Ses faubourgs ouvriers de Caesarea, naguère misérables et fétides,
avaient été nettoyés en profondeur. L’aqueduc apportait de l’eau potable aux
fontaines restées sèches depuis si longtemps, et comme si cette irrigation
nouvelle avait encouragé la floraison de pierres, de briques et de tuiles,
d’impressionnants bâtiments neufs étaient en train de sortir de terre un peu
partout. Les deux plus notables étaient le palais de Théodoric et la cathédrale
arienne que ce dernier avait promise à l’évêque Néon, même si ce digne
serviteur de l’Église s’était éteint récemment.
À l’instar de la Porte d’Or de la ville où il avait passé
son enfance, la haute portion centrale du palais de Théodoric était formée de trois
arches élancées. Dans le tympan triangulaire compris entre leurs sommets et le
toit incliné était
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