Théodoric le Grand
convivium, à ma propre table ou dans un jardin public, le
regard d’un jeune étranger bien fait de sa personne, et d’en savourer les
plaisantes conséquences. Mais avec le temps, j’en vins à souhaiter que les
torches éclairant la salle ou les chandelles illuminant la table soient moins
brillantes et plus discrètes, l’atmosphère du jardin un peu plus tamisée ;
bientôt, comme toutes les femmes finissent par le savoir, j’en vins à convenir
que l’obscurité est mille fois plus clémente que la clarté du jour. Et pour moi
aussi, inéluctablement, ce temps-là arriva…
Plus précisément le jour où je déclarai au bel esclave
tcherkesse Hakat :
— En récompense de l’inestimable service que tu as
rendu au roi Théodoric, en aidant à démasquer le traître Odoin, tu as mérité
ton affranchissement. Tu es désormais un homme libre. De plus, pour l’avoir
aidée à dissimuler son imposture dans la maison d’Odoin, ta « sœur aînée »
Veleda aimerait te récompenser d’une autre façon.
Au cours des heures qui suivirent, en Tcherkesse poli qu’il
était, Hakat articula de respectueuses formules du style : « Un jeune
frère ne saurait refuser la moindre faveur à sa grande sœur… » ou
encore : « Tout ce qu’exige une grande sœur, son jeune frère doit se
faire un devoir de le satisfaire… » et je fis de mon mieux pour ne pas
remarquer que chaque fois, il détournait les yeux ou masquait un soupir de
résignation.
Mais je vis tout cela et le vis fort bien. C’est la raison
pour laquelle Hakat fut le dernier homme à s’accoupler avec Veleda. C’est
pourquoi également je vendis la maison de l’autre côté du Tibre, me débarrassai
de tous les vêtements et ornements de Veleda à l’exception de quelques-uns des
plus précieux, et cédai ou libérai tous les esclaves qui l’avaient entourée et
servie.
La retraite virtuelle de Veleda sembla précipiter chez Thorn
un même ralentissement de son esprit d’entreprise en la matière ; en tant
que Thorn, je ne répugne pas à savourer encore de temps à autre un bon moment
(et j’espère bien, si l’occasion m’en est donnée, continuer ainsi jusqu’à mon
dernier souffle), mais je ne recherche plus avec la même avidité ce type de
jouissance. Il n’en reste pas moins que les hommes et les femmes de mon âge, si
peu crédibles qu’ils puissent être en tant que partenaires de débauche,
partagent cependant avec moi d’autres intérêts, idées ou souvenirs ; et
j’en suis venu à me contenter des plaisirs calmes d’une compagnie conviviale
autour d’une bonne table, au détriment des voluptés plus frivoles de la chambre
à coucher.
Une fois ces choses dites, je dois pourtant constater avec
ironie que ce fut bel et bien une aventure d’ordre sexuel, en un sens, qui
provoqua une bouffée de tempête dans la quiétude censée baigner le restant de
mes jours.
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Cela commença par de simples rumeurs, dont le premier écho
me parvint par la voix d’Ewig, l’ex-soldat devenu caupo d’auberge.
Depuis mon arrivée à Rome, il avait été mon speculator personnel parmi
le petit peuple de la ville, me tenant informé de ses faits et gestes ainsi que
de son état d’esprit – contentement, complaintes, murmures d’agitation ou
autres – me permettant ainsi d’informer Théodoric de ce que pensait la
masse de ses sujets. Au détour d’un de ses rapports, il mentionna un jour une
certaine Caia Melania, veuve nouvellement arrivée dans la ville, qui
avait acheté une élégante demeure ancienne sur la colline de l’Esquilin et fait
appel à des artisans pour la rénover. Je me dis que c’était une bonne chose,
car cela donnerait du travail aux gens du coin, mais hormis cela n’y trouvai
rien de particulièrement notable.
Au cours des mois suivants, d’autres amis de différents
milieux, autour de moi, eurent l’occasion d’évoquer Caia Melania, en
général sur un ton approbateur et teinté de respect quant aux sommes
importantes qu’elle pouvait dépenser, mais je n’y prêtai guère plus
d’attention. Je me souvenais bien avoir entendu parler à Vindobona d’une femme
de ce nom, il y avait fort longtemps, et me demandai alors vaguement s’il ne
s’agissait pas d’elle, par hasard. Mais Melania est un prénom féminin
relativement courant.
La première fois que j’y accordai davantage d’attention, fut
lorsque j’en entendis à nouveau parler dans le bruyant triclinium du
vieux
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