Théodoric le Grand
serais le premier à courir dans son
antichambre.
Un autre sénateur éclata de rire et dit :
— Que n’y vas-tu pas armé de ton inénarrable statue de
Bacchus, vieux satyre ? Tu pourrais le charger de faire le travail à ta
place !
Cette remarque déclencha une cascade de rires
supplémentaires et, de fil en aiguille, la conversation dériva sur diverses
spéculations au sujet de la façon dont Melania pouvait bien se procurer les
fameuses « femmes de rêve » dont il était question. Je n’y prêtai
pour ma part qu’une attention distraite. J’avais connu ce genre de lieux de
rendez-vous. Même si cette maison avait la prétention d’arborer l’aspect d’un
écrin, ce n’était au mieux qu’un nid de prostituées, avec à sa tête la
proxénète en chef Caia Vidua Melania.
Symmaque changea alors de conversation et déclara d’un ton
soudain plus sérieux :
— Je suis intrigué par un événement récent et
j’aimerais savoir si vous le trouvez également préoccupant. J’ai reçu hier la
visite d’un messager porteur d’une missive émanant du roi. Après les
compliments d’usage, Théodoric m’y demande de bien vouloir me faire
l’interprète auprès du Sénat d’une nouvelle loi visant à limiter les taux
d’intérêt des prêteurs sur gages.
— Qu’y a-t-il d’anormal à cela ? demanda Liberius.
C’est une excellente mesure, me semble-t-il.
— Je n’en disconviens pas, concéda Symmaque. Mais ce qui
me tracasse, c’est que Théodoric m’a envoyé il y a environ un mois exactement
la même missive, et me demandant mon soutien à ce même sujet. J’ai aussitôt
fait dans ce sens une longue intervention devant mes collègues sénateurs, et
nul doute que la proposition sera largement votée dès qu’on se prononcera
là-dessus. J’en ai bien sûr référé au roi. Tu le sais d’ailleurs, Boèce.
Pourquoi Théodoric éprouve-t-il donc le besoin de me redemander la même
chose ?
Un silence un peu gêné accueillit la question. Puis
quelqu’un hasarda gentiment :
— Ma foi, les vieilles gens oublient parfois…
Symmaque renifla d’un air méprisant et répliqua :
— Je suis plus vieux que Théodoric. Je n’en suis
pourtant pas à oublier de baisser ma tunique quand je ressors des
latrines ! Et à plus forte raison à ne plus savoir où en est une loi d’une
telle envergure.
— Bah, enchaîna charitablement une autre voix, un roi a
sans doute plus de choses à penser que nous autres sénateurs…
— C’est un fait, fit Boèce, qui soutenait toujours
loyalement son roi. Et Théodoric est en ce moment très soucieux de la santé
déclinante de sa femme. Il en est parfois distrait, j’en suis témoin.
Cassiodore aussi l’a remarqué. Nous faisons notre possible pour lui éviter de
trop gênants cafouillages, mais il lui arrive parfois d’envoyer des messages
sans nous en informer. Espérons que cela ira mieux dès qu’Audoflède se sera
rétablie.
— Si Théodoric, même à son âge, se trouve privé de
relations intimes, fit remarquer un médecin de l’assistance, il est clair qu’il
doit souffrir de quelque congestion de ses instincts. Tout le monde sait qu’une
trop longue abstinence sexuelle a tendance à boucher les canaux intimes. Cela
pourrait expliquer les divagations évoquées plus tôt.
— En ce cas, rebondit sans vergogne un jeune noble,
pourquoi ne pas inviter Sa Majesté à Rome ? En attendant qu’Audoflède
reprenne du service, nous pourrions l’envoyer dans ce fameux lupanar de
Melania. Voilà qui lui déboucherait les conduits, à coup sûr !
Tandis que certains de ses jeunes compagnons s’étranglaient
de rire à cette perspective, les invités plus âgés se récrièrent vertement
contre une telle impertinence, et nul n’évoqua plus le nom de Melania au cours
de la soirée.
Mais au cours des mois qui suivirent, son nom me revint en
boucle, de la bouche de l’une ou l’autre de mes relations masculines. Ils me
parlaient tous d’un air émerveillé, sans y être invités, de la femme
fantastique qu’ils avaient rencontrée dans la maison de l’Esquilin.
— Une Tcherkesse aux yeux gris, capable de contorsions
incroyables.
— Une Éthiopienne noire comme la nuit, mais qui a su
être pour moi comme un soleil levant…
— Une Arménienne aux seins gros comme sa tête…
— Une Polonaise au teint pâle, de huit ans à peine.
Elles ne sont bonnes qu’à l’âge tendre, tu le sais, car elles
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