Théodoric le Grand
grossissent
exagérément dès qu’arrive la puberté…
— Une farouche Sarmate aussi sauvage qu’insatiable, te
dis-je. Je te jure que j’ai pensé qu’il s’agissait d’une véritable Amazone…
— Cela dit, le bijou suprême de Melania n’a pas encore
trouvé preneur, à ce qu’on m’a dit. Peut-être qu’aucun homme assez riche pour
se l’offrir ne s’est encore présenté. Il s’agirait en effet d’une créature
excessivement rare, et tout le monde à Rome est avide de savoir qui elle est.
Certains implorent tous leurs dieux d’être le premier à se la voir attribuer.
— C’est une vierge somptueuse, une femme du peuple que
l’on nomme les Sères, Saio Thorn, m’informa à son tour mon speculator Ewig, toujours au fait des derniers potins de la ville. Amenée ici
soigneusement dissimulée et demeurée cachée depuis. Une fille à la peau jaune
pâle de partout, si vous m’en croyez.
— Je peux aisément le croire, murmurai-je. Je parlerais
plutôt de couleur pêche, à vrai dire.
Ewig me lança un regard de côté.
— Si vous savez ce genre de chose, Saio Thorn,
alors peut-être est-ce à vous qu’est réservée une telle vierge…
Dame, les moines de Saint-Damien n’avaient-ils pas été les
premiers à le faire remarquer ? La curiosité est mon plus vilain défaut.
— Ewig, fis-je, tu connais les artisans qui ont travaillé
à cette demeure. Je crois savoir que ce n’est pas un trop vaste édifice.
Arrange-toi pour en apprendre davantage sur le plan de la bâtisse et sur les
travaux qui y ont été effectués, et tiens-moi informé, je te prie.
Aussi par un soir d’été, je me présentai dans la demeure de
l’Esquilin, où une jolie servante m’introduisit aussitôt dans l’antichambre.
Circulaire et spacieuse, je l’envisageai du regard inquisiteur d’un vieux
guerrier. Il n’y avait en son centre qu’une simple table de marbre rose, agrémentée
de part et d’autre par deux bancs du même marbre, sans autre meuble dans la
pièce. Caia Melania, à moitié assise et à moitié inclinée sur son banc,
me faisait face. Derrière moi se trouvait la porte par laquelle j’étais entré
et, le long du mur curviligne s’arrondissant derrière elle, il y avait cinq
autres portes, toutes fermées. D’un côté de la table était posé un bol de
cristal rempli de pêches à peine cueillies, aussi parfaites et fraîches qu’on
puisse se les imaginer, constellées de gouttes de rosée, avec posé juste
au-dessus, un minuscule couteau en or cuivré. À l’autre extrémité, un vase de
cristal, beaucoup plus volumineux, était rempli d’une eau limpide dans laquelle
évoluaient paresseusement de petits poissons roses, eux aussi couleur de pêche,
faisant onduler leurs nageoires et leurs queues d’une impalpable finesse, tels
des voiles translucides.
Cette teinte rose pêche semblait être la couleur favorite de
Melania, car elle était vêtue d’une robe assortie, brodée d’argent et d’or.
Comme on me l’avait rapporté, ce n’était plus une toute jeune femme, mais une
matrone ayant peut-être huit ou dix ans de moins que moi. Pour son âge, elle
était encore cependant remarquablement belle, bien formée et svelte. Je n’eus
aucun mal à imaginer l’éclatante jeune fille qu’elle avait dû être. À présent
cependant, le timide doigt du temps avait dessiné parmi ses boucles blondes
quelques courbes argentées et tracé de-ci de-là sur son teint d’ivoire un fin
et léger sillon. Mais ses larges yeux azur étaient lumineux, ses lèvres d’un
rose frais et naturel, que nulle couche de cosmétique n’avait eu besoin de
relever.
Elle fit un petit geste d’invitation et je m’assis devant
elle, me tenant bien raide sur mon banc. Sans prendre le temps de sourire ou
d’énoncer la moindre formule de bienvenue, elle commença son interrogatoire.
J’avais été averti, ses questions furent nombreuses, mais bien que sa voix fut
particulièrement plaisante, elle ne semblait pas accorder une grande importance
à mes réponses, comme si elle avait déjà soigneusement enquêté au préalable sur
les tenants et les aboutissants de chacun des solliciteurs admis à franchir son
seuil. Lorsqu’elle en vint aux demandes concernant mes goûts et inclinations,
toujours d’un ton apparemment un peu négligent, je me permis d’interrompre son
interrogatoire pour lui demander :
— J’ai l’impression, Caia Veleda, que vous
m’avez déjà jugé
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