Théodoric le Grand
sur les Huns, et apprîmes que nul
Ostrogoth n’était désormais plus leur esclave. Le même jour, nous sûmes que la
compagne de Thiudamer avait donné naissance à un fils.
— C’est pourquoi, poursuivit Baúhts, nous avons
toujours parlé de ce garçon comme de l’enfant de la victoire.
Me tournant vers Fillein, je lui demandai :
— Vous voulez dire qu’avant le règne de Thiudamer et de
son frère, vos seuls monarques, vos seuls maîtres étaient des chefs
hunniques ?
— Akh, pas du tout ! se récria-t-il. À une
certaine époque, j’ai été, comme tous les Ostrogoths, un sujet du père de ces
deux frères, le roi Wandalar.
— Connu sous le nom de Conquérant des Vandales,
confirma Baúhts, qui venait de déposer sur le feu un grand pot de fer, aidée
par Swanilda.
— Et bien que n’ayant pas connu le père de Wandalar, je
connais son nom, ajouta Fillein. C’était le roi Widereikhs.
— Appelé aussi le Conquérant des Wendes, précisa
Baúhts, qui glissait dans les braises des rondelles de pâte à pain pour les
faire griller.
Je décidai que Fillein devait être le gardien des noms
royaux de la maisonnée, sa femme se chargeant pour sa part de la mémoire des
surnoms. Mais une chose continuait de me chiffonner, aussi demandai-je :
— Comment pouvez-vous, vénérable Fillein, accorder à
ces hommes le titre de roi ? Vous l’avez dit vous-même, avant les règnes
de Thiudamer et de Walamer, le peuple ostrogoth tout entier était l’esclave des
Huns.
— Ha ! s’exclama-t-il, tandis que sa voix
grinçante se renforçait d’une note bien affirmée de fierté. Cela n’a jamais
empêché nos rois d’être rois, et nos guerriers d’être des guerriers. Les Huns
avaient beau être des sauvages, ils n’étaient pas pour autant dénués de bon
sens. Ils savaient que jamais nous n’accepterions d’ordres venant d’eux. Aussi
se gardèrent-ils avec soin d’interrompre la lignée royale, et ils laissèrent
nos soldats aux ordres des rois. La seule différence était qu’au lieu de
combattre nos ennemis ancestraux, nous combattions désormais les ennemis des
Huns. Peu importe. Pour un vrai guerrier, tout combat est digne d’être livré.
Lorsque les Huns, poussant à l’ouest, se mirent en tête de vaincre les
misérables Wendes des vallées des Carpates, ce fut derrière notre roi
Widereikhs que nos colonnes les aidèrent à en venir à bout. Plus tard, quand
les Huns décidèrent de chasser les Vandales de Germanie, c’est le roi Wandalar
qui conduisit nos guerriers à cet exploit.
— À vous en croire, les Huns ont donc poussé à l’ouest
tous les autres peuples, y compris presque tous les Goths. Comment se fait-il,
dans ce cas, que vous viviez encore ici ?
— Réfléchissez, jeune maréchal. Les Romains, les Huns
ou n’importe quelle autre race d’hommes peuvent ravager une terre en long, en
large et en travers. Ses diverses parcelles peuvent changer de maître de
nombreuses fois. Le sol peut être irrigué de sang, jonché d’ossements, creusé
de milliers de tombes, être couvert d’armures vouées à la rouille et à la
pourriture… tout cela s’effacera, et finira par disparaître en l’espace d’une
simple vie humaine. J’ai moi-même vu ces choses arriver. Seule la terre ne
change jamais.
— Voulez-vous dire… qu’un homme ne se doit
d’être loyal qu’envers l’immuable terre dont il est issu, plutôt que d’obéir à
ses dieux, à ses rois ou à ses ancêtres ?
Il ne répondit pas directement à la question, mais
poursuivit :
— Balamer a conduit ses Huns ravageurs par ici il y a
près d’un siècle. Mais cela faisait déjà bien plus d’un siècle que nos pères
détenaient ces terres, et les avaient mises en valeur. Les Huns, c’est vrai, se
mirent à pulluler sur notre territoire et s’en arrogèrent la propriété, mais
sans le ravager pour autant. Et ceci pour une excellente raison : ils
avaient besoin des productions de toutes les terres qu’ils conquéraient, pour
nourrir et habiller leur armée, afin de poursuivre leur conquête de l’Europe.
— Ja, fis-je à mi-voix. Je comprends ça…
— Mais que savaient-ils, ces Huns, de l’exploitation de
la terre ? Pour maintenir la terre en état de produire, il fallait des
gens capables de travailler les champs, d’exploiter les marécages, de tirer
parti des eaux. Certes ils ont forcé nos rois, nos guerriers et nos jeunes gens
à les suivre vers l’ouest
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