Théodoric le Grand
hésitation, raide et ankylosé. Mon esprit se trouvait dans une telle
ébullition que parvenu dans le quartier des docks, je mis encore un bon moment
à reconnaître la maison que Meirus m’avait indiquée. Durant le trajet du
retour, j’avais imaginé une histoire plausible à leur raconter. Mais l’attitude
que je m’étais composée ne dût pas être assez crédible, car lorsque je tapai
bruyamment du pied contre l’encadrement de la porte et que Meirus en personne
me fit entrer, il me jeta un seul coup d’œil avant de s’exclamer :
— Akh, Saio Thorn, vous avez l’air pâle comme un gáis ! Entrez, entrez vite. Et puis tenez, prenez une bonne rasade
de cette outre de vin.
Je m’exécutai avec une certaine reconnaissance, tandis que
Swanilda et Lombric, se pressant derrière lui dans l’entrée, me couvaient d’un
regard empreint d’un mélange d’anxiété, d’espoir et d’appréhension.
— Y a-t-il eu duel, Thorn ? demanda Swanilda
haletante, quand j’eus enfin rabaissé le bras qui tenait l’outre.
— Vous l’avez emporté, fráuja Thorn ?
s’enquit timidement Lombric.
Meirus fit remarquer avec bon sens :
— En tout cas, le voilà bien debout, et visiblement il
ne saigne pas.
— Auriez-vous vaincu un dieu, fráuja Thorn ? insista Lombric. Dans un combat au corps à corps ?
— Thor n’a rien de divin, fis-je, tentant d’accompagner
mon propos d’un petit rire. Et il n’y a pas eu duel. Il n’est pas notre ennemi.
Sa façon de nous suivre à la trace comme s’il était en colère était juste une
farce, rien de plus.
— Akh, c’est ce que j’avais espéré, cria
Swanilda, riant de bon cœur avec moi et m’ouvrant ses bras. Je suis si heureuse
qu’il en soit ainsi !
Meirus, lui, ne dit rien, et ses yeux se rétrécirent en me
scrutant.
— Je suis étonné, vieux mage, le taquinai-je, faisant
de mon mieux pour prendre un air de désinvolte insouciance, que vous n’ayez
rien deviné de tel.
— Je le suis aussi…, murmura-t-il, épiant toujours mon
expression.
Ma présence d’esprit me dicta la suite :
— Si je suis un peu pâle, c’est sans doute parce que je
suis parti là-bas dans l’idée que j’allais vraiment me battre, et cette lugubre
pensée ne s’est pas encore totalement dissipée.
Je ris à nouveau.
— Mais notre soi-disant redoutable poursuivant n’est en
fait… ma foi, seulement ce que vous aviez imaginé au départ, Meirus. Une sorte
d’associé, pour ainsi dire, envoyé pour m’aider dans ma quête historique.
Le Boueux fronçait à présent les sourcils, l’air songeur,
aussi sentis-je que j’en faisais peut-être un peu trop dans le détachement et
l’insouciance. Mais Meirus se contenta de répondre :
— Eh bien venez donc, Maréchal. Entrez, et
restaurez-vous. Il y a encore de quoi manger sur cette table.
— Et raconte-nous tout, ajouta gaiement Swanilda. Qui
est réellement Thor, et ce qu’il fait là.
J’avais bien d’autres choses en tête que la simple envie de
manger, mais je fis l’impossible pour montrer bon appétit tout en dissimulant
la tempête intérieure qui s’agitait sous mon crâne. Swanilda et Meirus avaient
apparemment mangé à leur faim, et ils se contentèrent de siroter du vin en
m’écoutant. Quant à Lombric, il était sans doute aussi rassasié ; il fit
cependant honneur aux mets autant que moi, profitant apparemment de l’occasion
exceptionnelle qui lui était donnée de s’attabler à l’intérieur. Commençant mon
récit, je m’efforçai de ne pas parler avec trop de légèreté – je m’y étais
entraîné mentalement auparavant – et je m’exprimai par intervalles, entre
deux masticages et deux goulées de vin.
— Je ne sais s’il faut y voir là une coïncidence,
expliquai-je, ou si les rois ont des raisonnements similaires. Toujours est-il
qu’au moment précis où Théodoric décidait de m’envoyer en quête de la véritable
histoire des Goths, Euric, le roi des Wisigoths, en Aquitaine, a eu la même
idée. Il a également dépêché un agent sur la piste empruntée naguère par les
Goths en migration, lui enjoignant bien sûr, en passant par Novae, d’aller
présenter ses respects à Théodoric et de lui expliquer la teneur de sa mission.
Ce dernier n’a pas manqué de lui répondre que je l’avais précédé, chargé de la
même tâche, aussi Thor a-t-il tenté de voler sur mes traces. Comme nul ne
l’ignore, il nous a manqué de peu
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