Théodoric le Grand
êtes sûrs de vouloir l’entendre quand
même ?
— Oui, répondîmes-nous à l’unisson, Swanilda et moi.
Meirus remua ses grosses épaules.
— Bon, comme vous voudrez.
Il s’adressa d’abord à moi :
— Vous chérirez Swanilda tout le reste de votre vie.
Je ne voyais pas pourquoi il avait tant hésité à parler.
Cette prédiction n’avait rien de sinistre ou d’extraordinaire, ni même de très
audacieux. Swanilda, en tout cas, s’en réjouit. Elle souriait aux anges, quand
Meirus lui déclara :
— Vous chérirez Thorn jusqu’à demain midi.
Le sourire de Swanilda s’évanouit et elle sembla pétrifiée.
Je l’étais aussi, mais trouvai la force de me récrier :
— Qu’est-ce que c’est que cet augure ? Cela n’a
aucun sens !
— Ne vous l’ai-je pas dit ? Je ne dis que ce que
je vois.
— Si vous pouvez anticiper de la sorte, Boueux, vous
pourriez au moins hasarder une explication.
— Oh, la barbe, Maréchal ! Vous commencez par me
demander des comptes sur l’atroce comportement des chrétiens et à présent, vous
voudriez me rendre responsable de ce que le futur apportera. Vous en auriez
sans doute une idée un peu plus claire si vous me posiez la question qui doit
vous brûler les lèvres depuis le début : « Quelles nouvelles de celui
qui se fait passer pour Thor ? »
— D’accord ! Quelles nouvelles, alors, de ce fichu
fils de pute ?
— Il est revenu, bien sûr. Toujours aussi arrogant,
impérieux et hautain qu’auparavant. Comme vous l’êtes dès que vous entendez
parler de lui. Je lui ai dit que vous étiez parti en excursion dans le delta,
mais que vous alliez revenir. Il a grogné qu’il n’allait pas se tremper les
pieds à courir après vous. Il a décidé de vous attendre ici, et m’a chargé de
vous dire qu’il logerait dans le même pandokheíon que vous. Il espère
bien, a-t-il ajouté d’un ton moqueur, que vous n’esquiverez pas peureusement le
marteau de Thor.
Je piaffai de mépris à cette raillerie. Mais Meirus
ajouta :
— Il a dit aussi qu’il espérait que vous ne vous
cacheriez pas sous les jupes d’une femme. Il doit penser que vous vous servez
de Dame Swanilda comme d’un bouclier pour vous défendre d’éventuelles attaques.
— Je me fiche de ce qu’il peut penser ou dire. Je veux
juste voir ce qu’il est capable de faire.
— Vous allez donc l’affronter ? fit le Boueux,
avec une pointe d’espoir.
— Maintenant ? ajouta Swanilda, alarmée.
— Bien sûr. Je ne vais pas faire attendre un dieu. Et
puisqu’il a l’air de mépriser la compagnie des femmes, j’irai seul.
Je me levai et sortis, suivi des deux autres.
— Meirus, y aurait-il un endroit où Swanilda puisse
s’installer un petit moment ?
— Ma maison est juste derrière, fit-il, pointant le
doigt dans sa direction. Elle restera avec moi, mes serviteurs se chargeront de
son nahtamats et je ferai surveiller vos chevaux par Lombric.
— Mais, Thorn…, supplia Swanilda. Nous sommes venus
ensemble de si loin, et demeurés unis si longtemps… Veux-tu maintenant que l’on
se sépare ?
— Thor a demandé à me voir seul, et je vais accéder à
son souhait. Je m’y rendrai à pied, sans rien d’autre que mon épée. Ce ne
devrait pas être long, ma chère. J’entends mettre un terme à ce détestable
harcèlement.
— Venez, Dame Swanilda, je vous en prie, fit Meirus
d’un ton engageant en lui prenant le bras. Je suis heureux d’avoir une invitée,
c’est si rare. Et je serais curieux de vous demander votre avis sur certains
projets commerciaux.
Comme ils disparaissaient dans la ruelle sombre, je
l’entendis disserter avec enthousiasme à ce sujet.
— J’ai décidé de diversifier mes affaires. J’aimerais
dans cette optique vous adjoindre Lombric lors de votre départ vers le nord, si
vous l’autorisez bien entendu, afin de faire de lui mon prospecteur et agent
sur la Côte de l’Ambre…
Sa voix s’évanouit dans le lointain, et je souris.
Décidément, le vieux Juif devait vraiment être doué en tant que devin, me
dis-je, avant de m’élancer résolument dans l’autre direction.
*
Je restai au pandokheíon plus longtemps que prévu. En
le quittant finalement, je me doutais bien que Swanilda se faisait du mauvais
sang à mon sujet, et que Meirus bavait d’impatience de connaître l’issue de mon
entrevue. Aussi tentais-je de presser le pas, mais je ne parvenais à marcher
qu’avec
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