Théodoric le Grand
présent terriblement blessée, et Lombric
anéanti, pendant que Meirus continuait de me dévisager longuement, sans laisser
filtrer la moindre émotion. Je donnai le coup de grâce :
— J’espère que vous en êtes bien conscients. Je dois en
parler avec Thor. Je ne puis décider de ma seule autorité qui nous accompagnera
désormais.
Swanilda hocha tristement la tête, imitée par Lombric.
— Maintenant, enchaînai-je, je vais retourner de ce pas
au pandokheíon et m’asseoir avec Thor autour d’une table, dans mes
appartements, où j’ai gardé les diverses cartes et notes rassemblées par mes
soins. Je le mettrai au courant de ce que j’ai pu apprendre jusqu’ici,
solliciterai ses propres connaissances, puis nous discuterons de ce qu’il
convient de faire pour la suite, et le cas échéant avec quels compagnons. Cela
nous prendra probablement une bonne partie de la nuit, et nous nous lèverons
sans doute assez tard demain matin. Cette chambre étant aussi celle de
Swanilda, dans la mesure où elle va être monopolisée par Thor et moi-même,
puis-je vous demander, Meirus, de bien vouloir lui accorder l’hospitalité
jusqu’à ce que je revienne la chercher ?
— Je n’aurai garde d’y manquer, me répondit-il d’un ton
glacial. (Puis, se tournant vers Swanilda, il enchaîna bien plus
chaleureusement :) Ferez-vous l’honneur à un vieil homme d’être son hôte
pour la nuit ?
Très affectée, elle accepta d’un geste de la tête, et ne me
dit rien, pas même un gods nahts lorsque je pris congé.
*
Quand j’arrivai dans ma chambre, Thor s’y trouvait déjà, et
demanda :
— Que leur as-tu dit ?
Je répondis simplement :
— J’ai menti.
12
— Ah, oui ? fit Thor, mais il semblait
indifférent, et comme détaché. Pourquoi prendre cette peine ?
— Parce que le Boueux a paru singulièrement sceptique
quant aux multiples coïncidences entourant notre rencontre. Si lui ou n’importe
qui d’autre connaissait les véritables circonstances qui nous ont mis en
présence…
— Incroyable, ja . Mais tu es incroyable. Je suis
incroyable. Laissons donc l’incrédulité aux ignorants. Pourquoi nous préoccuperions-nous
de ce que les gens peuvent penser de nous ? Et au fait, tu ne m’as pas
encore dit… que penses-tu effectivement de moi ? N’ai-je pas belle
prestance ? Ne suis-je pas désirable ? Irrésistible ?
Thor gisait nu sur mon lit, et souriait maintenant de façon
provocante en s’étirant voluptueusement dans la chaude lumière de la lampe,
pour bien me montrer un visage et un corps que j’aurais sans nul doute loué,
admiré, voire exalté, si… si cela n’avait pas été de ma part d’une rare
immodestie, dans la mesure où ce visage et ce corps étaient la copie conforme
des miens.
Toujours souriant et ondulant imperceptiblement, Thor
murmura :
— J’ai un jour entendu un prêtre expliquer que les
seules personnes foncièrement crédules sont celles qui ne croient pas aux miracles.
Je me souvins de la première fois où j’avais aperçu
Thor : c’était de loin, sur le quai de Durostorum, alors que ma barge s’en
éloignait. Même de cette distance, j’avais nettement discerné dans sa
silhouette quelque chose de curieusement familier.
Thor était Wisigoth, avait deux ans de moins que mon âge
estimé, et mesurait presque la même taille que moi, à un doigt près. Il
possédait ma mince stature, et sa peau claire arborait une finesse comparable.
Pour autant, nos visages n’étaient point identiques. Le sien, plus
triangulaire, avait les traits plus anguleux. Mais il ne faisait pas de doute
qu’on nous aurait tous deux jugés exceptionnellement beaux, voire séduisants.
Tous deux imberbes, nous avions les cheveux du même or pâle, que nous portions
mi-longs, ce qui convenait à un homme comme à une femme. Sa voix, comme la
mienne, avait quelque chose d’ambigu, douce mais légèrement voilée. En fait, la
seule différence immédiatement perceptible entre nous, quand nous étions tous
deux habillés, était la couleur de nos yeux. Ceux de Thor étaient bleus, et les
miens gris.
Mais sans vêtements…
— Regarde-moi, ordonna Thor, qui s’était levé et
rapproché de moi.
— C’est ce que je faisais.
— Regarde-moi encore, un peu plus longtemps. Il nous a
fallu une vie pour nous trouver. Regarde-moi, et dis-moi combien tu es heureux
que je t’aie trouvé, et que tu m’aies rencontré. Dis-moi à quel
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