Théodoric le Grand
qu’imparfaitement le décrire en affirmant qu’il doit être au moins
trois fois plus dévastateur que le plus haut pic de sensations possible, ou
même imaginable, entre un homme et une femme, entre deux hommes ou entre deux
femmes. Au cours de mes badinages avec d’autres partenaires, il m’était arrivé
de m’imaginer, moi ou mon vis-à-vis, dans la peau d’une autre personne, ou de
plusieurs. Mais Thor et moi étions vraiment multiples. Chacun d’entre nous
était littéralement, au sens physique du terme et de façon authentique, deux
personnes distinctes. De sorte qu’à chaque moment divin, chacune de nos deux
personnalités prenait part au transport des trois autres.
— Changeons notre façon de faire, cette fois-ci.
— Ja. Comme cela, tu veux bien ?
— Ja… ah-h-h…
Une seule chose pouvait m’empêcher de savourer pleinement
cette nuit, un petit doute qui rôdait quelque part dans mon esprit. Depuis que
Swanilda avait pointé du doigt la similarité de nos deux noms, je m’étais
immédiatement senti, comment dirais-je… remué ? perturbé ?
agacé ? déstabilisé ? chaque fois que j’avais entendu prononcer le
nom de Thor. Pour quelle raison ? Sûrement avais-je ressenti quelque
prémonition de qui était réellement ce personnage. Mais le fait d’avoir ainsi
découvert que je n’étais pas unique au sein de l’espèce humaine était loin de
me gêner ou de m’effrayer. Après tout, depuis ma plus tendre enfance, au moment
où j’avais découvert ma vraie nature, j’avais ardemment désiré rencontrer un
être semblable à moi.
S’agissait-il, alors, du pressentiment d’autre chose ?
D’un noir présage marquant ce rapprochement entre Thor et Thorn ? Il
m’était tout aussi difficile de le croire. Si deux êtres avaient jamais été
destinés par nature à se donner mutuellement du plaisir et à s’attacher l’un à
l’autre, c’était bien Thor et Thorn. Dès qu’il avait eu le premier soupçon sur
la possibilité de mon existence, le fol espoir qu’un autre mannamavi puisse vivre dans le monde au même moment, Thor s’était lancé à corps perdu à
ma recherche.
Tout cela grâce à Widamer, cet émissaire de la cour des
Wisigoths de Tolosa, parce que sa visite à son cousin Théodoric de Novae lui
avait valu quelques heures de félicité avec une citadine nommée Veleda, suivies
d’une rencontre équivoque avec un herizogo appelé Thorn. Un peu plus
tard, en tout cas, au cours d’un convivium festif à Tolosa et peut-être
sous l’emprise de l’alcool, Widamer laissa échapper une remarque à propos de
deux personnes assez déroutantes qu’il avait eu l’occasion de rencontrer à
Novae. Peut-être ne s’était-il agi en l’occurrence que d’une spéculation
frivole ou un brin salace à propos de leur nature intime… Mais parmi les
invités, l’un d’entre eux avait immédiatement saisi ce qui avait échappé à Widamer.
Dès le lendemain matin, Thor avait sauté en selle et pris la route de l’Est,
vers Novae. Ayant alors appris que j’avais été envoyé en mission, Thor avait
suivi ma piste, et finalement m’avait trouvé. Et nous étions là à présent, tous
les deux enlacés.
— Vái ! jeta Thor d’un ton enjoué, cette
dernière contorsion m’a donné des crampes.
— C’est sûrement ce que voulait dire l’apôtre,
répondis-je en riant, lorsqu’il affirmait que l’esprit est volontaire, mais que
la chair est faible.
— Pas tant la chair que les muscles. Je suis moins
alerte et athlétique qu’un garçon habitué comme toi à vivre au grand air.
Soufflons un instant.
Tandis que nous restions allongés, encore légèrement
tremblants de nos derniers ébats, je demandai :
— Te rappelles-tu au juste, Thor, les paroles exactes
de Widamer ?
— Ne. Mais il n’a provoqué en moi qu’une vague
intuition, rien de certain quant à ce que je pourrais découvrir. Ainsi, la
Veleda qu’il avait mentionnée pouvait fort bien n’être, après tout, qu’une véritable
femme, dupant tout le monde à Novae en se faisant passer pour un homme nommé
Thorn. Je suis parti quand même, porté par l’espoir…
— Et tu as parcouru tout ce chemin, soutenu par cette
simple espérance, fis-je d’un ton admiratif.
— Tu m’as donné du fil à retordre au cours de ma
filature, je dois le dire. J’ai toujours été citadin, j’ai reçu une éducation
délicate et je n’ai pas grand-chose d’un aventurier. Les
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