Théodoric le Grand
en
place et ronchonnant, déboulait pour interrompre la conversation en
disant :
— Cette histoire n’a rien à voir avec notre quête, et
minuit est passé depuis longtemps. Viens te coucher, Thorn.
Et il me fallait bien m’exécuter. Mais je n’y perdais pas
toujours tant que cela, car Geneviève avait bien souvent raison. Beaucoup de
ces conteurs roumains ne faisaient que narrer sous différentes versions
d’anciennes fables et mythes païens. Dans un ospitun, le patron m’assura
un jour :
— Si tu passes une vie de vertu, jeune homme, à ta mort
tu accéderas aux îles fortunées d’Avallon, où tu jouiras d’une vie de délices.
Mais le destin veut aussi qu’au bout d’un certain temps, tu devras te
réincarner en ce monde dans une nouvelle enveloppe charnelle. On te fera alors
boire l’eau du Léthé, qui efface toute mémoire. Oubliant ainsi tous les
enchantements d’Avallon, tu accepteras de retourner sur la Terre, y endurer les
nombreuses tribulations de la vie d’un pauvre mortel.
— Avallon ? Penh !… grogna le Goth
tenancier d’un gasts-razn. Ce terme n’est que la déformation romaine, ou
roumaine, du mot gotique Walis-Halla, la « terre des élus » de
Wotan. Et comme continuent de le croire les païens, ces Walis élus sont
les guerriers morts en braves sur le champ de bataille. Ils y sont acheminés
par les impressionnantes, farouches mais sublimes jeunes filles appelées Walis-karja, ou « soigneuses des morts », et ils renaissent dans l’honneur au
Walhalla.
Je savais déjà tout cela, mais mes hôtes goths me
racontèrent aussi d’autres choses fort pertinentes que je pus ajouter à ma
compilation. On me conta ainsi que quand les Goths avaient quitté leurs
premières habitations de la Côte de l’Ambre, sous la conduite d’un certain
Filimer, ils avaient traversé les terres vers le sud, jusqu’aux Bouches du
Danuvius où ils s’étaient installés. On m’apprit également que le fondateur de
la lignée des Amales était un roi nommé Amal le Fortuné. D’autres us et
coutumes de ces premiers Goths me furent encore révélés.
— Avant d’avoir des chevaux et d’apprendre à les
monter, me dit un vieil homme, lorsqu’ils chassaient encore à pied, nos
ancêtres trouvèrent le moyen d’améliorer le jet de lance traditionnel en la
faisant tourner sur elle-même. Le chasseur enroulait une corde en torsade
autour de la hampe de sa lance – pas trop serrée, voyez-vous –, puis,
tenant fermement le bout de la corde, projetait sa lance à toute volée. La
corde, en se déroulant brusquement, faisait tournoyer le manche de la lance dès
qu’elle quittait la main du lanceur, et celle-ci allait se ficher plus vite et
plus fort dans la proie choisie pour cible.
— Plus tard, poursuivit un autre ancien, au cours de
leur longue migration, nos ancêtres traversèrent les plaines, et ils
découvrirent peu à peu les nombreuses ressources des chevaux et l’art de les
monter. Dès lors, les Goths ne chassèrent et ne combattirent plus qu’à dos de cheval,
utilisant épées, lances et flèches. Ils inventèrent alors une arme que les
meilleurs cavaliers du monde, les Huns, ignoraient encore. Je veux parler du sliuthr ,
longue corde s’achevant par une boucle, ajustée au moyen d’un nœud coulant. En
plein galop, un guerrier goth pouvait lancer celle-ci à une grande distance et
enserrer sa proie d’un coup sec, qu’il s’agisse d’un animal, d’un homme ou de
sa monture, les immobilisant presque instantanément. Mieux encore, plus
silencieuse qu’une flèche, cette arme était l’outil idéal pour tendre une
embuscade à un cavalier ennemi ou neutraliser une sentinelle.
Et les acquisitions des Goths, au cours de leur migration
séculaire, ne s’étaient pas limitées au seul domaine de l’armement.
— Ils s’initièrent en outre, m’exposa une vieille
femme, aux techniques artisanales des Alains, des anciens Daces et des Scythes
de l’époque, alors très cultivés. Ces peuples sont aujourd’hui épars, dégénérés
ou quasiment éteints, mais leur génie ancestral s’est perpétué à travers l’habileté
manuelle et la mémoire des artisans goths. Nos joailliers savent plier et
tresser un fil d’or en un magnifique filigrane, marteler un dessin en relief
dans une plaque en métal, émailler les détails sculptés les plus fins, ou
sertir une gemme d’une feuille d’or ou d’argent pour lui restituer un éclat
plus vrai que
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