Thorn le prédateur
l’exact équivalent, mais pour une vraie femme, des jus de baies, de
la suie et du suif dont nous nous étions tartinées à Sainte-Pélagie, quand nous
jouions aux filles pomponnées.
Mon emplette suivante, dans l’atelier d’un aurifex où
j’achetai de la joaillerie pour ma « dame bientôt là », fut encore bien
plus onéreuse. Bien que j’eusse choisi de faire l’impasse sur les bijoux en or
de l’excellent artisan, les pièces en argent que je sélectionnai, même sans
aucune pierre incrustée, mirent sérieusement à mal ma fortune. J’achetai pour
chacune des épaules de ma robe une fibule en argent en forme de corde nouée,
ainsi qu’un collier, un bracelet et des boucles d’oreilles parfaitement
assortis entre eux, puisque tous avaient été conçus pour ressembler à des
anneaux d’argent entrelacés. Après cela, en remontant vers la garnison, je me
posai quelques questions par rapport à mes choix et mon goût. Des bijoux
imitant des cordes et des chaînes avaient-ils l’air effectivement
féminins ? Je décidai finalement que si ma partie masculine avait présidé
au choix effectué, alors tout homme qui me regarderait ne pourrait qu’admirer
ces bijoux… et partant, moi avec. N’était-ce pas la raison pour laquelle les
femmes achetaient de la joaillerie ?
La garnison n’était plus aussi surchargée qu’elle l’avait
été au temps de la séquestration forcée, les habitants et certains voyageurs
étant désormais repartis. Mais le Syrien résidait toujours là, avec ses
charismatiques, dans le même bâtiment que Wyrd et moi-même, car il attendait le
retour de Paccius, espérant visiblement qu’il lui ramènerait Becga sain et
sauf.
Arrivé dans la chambre du baraquement, je résistai à mon
envie éminemment féminine de déballer mes bijoux pour jouir de leur vue et
jouer avec eux, car j’avais auparavant un travail spécifiquement masculin à
mener à bien, et je tenais à ce qu’il soit accompli avant le retour de Wyrd, de
crainte qu’il ne me réprimande de ne pas encore l’avoir fait. Ce que c’était…
la nuit précédente, lorsque j’avais tranché la gorge de cette vieille bique de
Hun, j’avais négligé d’essuyer mon glaive du sang qui le maculait, avant de le
ranger dans son fourreau. Durant la nuit, bien entendu, ce sang avait séché,
collant la lame à la laine intérieure de l’étui. J’empruntai donc un baquet à
l’un des soldats du baraquement, le remplis d’eau, et y remuai le fourreau
jusqu’à ce que je parvienne à en retirer l’épée. Je rinçai ensuite
soigneusement la lame avant de l’essuyer, et laissai l’étui à tremper dans le
baquet jusqu’à ce que la laine retrouve sa couleur blanche d’origine.
Je commençai sur ces entrefaites à me sentir extrêmement
fatigué, mais la fille qui sommeillait en moi brûlait d’envie d’essayer ses
nouveaux bijoux et ses produits cosmétiques. N’ayant aucun spéculum [58] à portée de la main, et hésitant à aller réclamer pareil ustensile à un soldat,
je n’avais aucun moyen de savoir ce que tout cela donnerait sur moi. Le Syrien
n’étant pas dans les environs immédiats, je fis appel à l’un des
charismatiques, que je choisis à peu près de mon âge et de ma couleur de
cheveux, et qui accepta de bonne grâce, et même bientôt avec délices, de rester
assis bien tranquille et de me laisser faire. Je lui enfilai mes différents
bijoux, badigeonnai ses joues de fucus, noircis au mascara ses cils et
ses sourcils et lui rougis les lèvres à l’aide d’un des onguents. Je me reculai
ensuite et dévisageai mon modèle, qui se tenait devant moi tout fier et
rayonnant. Malgré ses vêtements en loques, les bijoux en argent produisaient un
effet superbe, s’accordant à ravir avec ses cheveux pâles. Le maquillage dont
je l’avais peinturluré, en revanche, était lamentablement surchargé et criard,
ce qui lui donnait la physionomie que j’aurais attribuée, dans mon imagination,
au plus diabolique des skohls.
J’étais sur le point de tout nettoyer quand il protesta de
façon tellement suppliante, affirmant qu’il était « heureux d’être
joli », que je m’apitoyai et le laissai repartir avec sa face de skohl, et en appelai un autre à peu près du même âge, tirant lui aussi sur le
blond. Cette fois j’eus la main plus légère, et appliquai les cosmétiques
beaucoup plus adroitement. Lorsque je m’éloignai, je fus satisfait du résultat
que j’avais
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