Thorn le prédateur
aime particulièrement les loups…
Dylas secoua de nouveau sa grosse tête.
— Ce nom n’a rien à voir avec les sentiments. C’est
qu’il tuait un grand nombre d’ennemis, et laissait leurs cadavres à ces
charognards de loups. On l’appelait aussi parfois Wyrd le Pourvoyeur de
Charognes. Car crois-moi, du côté de Deva, les loups et les vers lui étaient
sacrément reconnaissants.
— J’ignore totalement où se trouve Deva.
— Dans la région de Cornouailles de la province de
Bretagne. Dans ces « îles de l’étain », comme vous les appelez sur le
continent. Wyrd et moi sommes devenus citoyens romains par la grâce du service
militaire, mais nous sommes des Bretons de naissance, aussi parlons-nous
parfois le gallois, en mémoire de jadis.
— C’est donc cela ! Je n’arrivais pas à
reconnaître cette langue, jusqu’ici. Pourquoi avez-vous quitté ces îles, vous
et lui ?
— Un soldat va où on lui dit d’aller… Nous n’étions que
deux hommes parmi les milliers que les Romains ont graduellement retirés de
Bretagne, lorsque les étrangers ont commencé à menacer leurs colonies ici en
Europe, jusqu’au cœur même de Rome. Wyrd et moi avons achevé notre service dans
les auxiliaires de la Onzième Légion, en combattant les Huns.
Il montra du geste le mur de la taverne, où je vis accrochée
une plaque de métal, aussi je me levai pour aller la regarder. C’était la diplomata de Dylas, deux plaques de bronze reliées par une chaîne, chacune de la taille
d’une main. Sur l’une était gravée son nom (traduit en latin, Diligens
Britannus), son rang et son unité à la sortie de l’armée ( Optio
Aquilifer, Auxiliaire de la IV e cohorte, XI e Légion, Claudia Pia Fidelis [54] ),
le nom de son dernier officier supérieur, la date de sa retraite (qui remontait
à seize ans), les noms de témoins, et celui de la province où il avait cessé
ses fonctions : Gallia Lugdunensis [55] .
— Par la vache louvette qui a nourri saint
Piran, si nous avions eu le choix, nous aurions largement préféré défendre nos
Cornouailles natales contre les attaques des Pictes, des Scots et des
Saxons !
— Étant aujourd’hui à la retraite, vous pourriez très
bien y retourner ?
— Akh, qui y songerait ? Maintenant que
Rome a totalement abandonné la Bretagne, cette terre a lentement dégénéré dans
la barbarie qui prévalait avant l’arrivée des Romains. Les belles cités
fortifiées et les fermes, les jolies villas sont maintenant devenues les camps
sordides de gens aussi sauvages et fétides que ces Huns auxquels vous avez
échappé ce matin, toi et Wyrd.
— Je vois…, fis-je. C’est vraiment dommage.
— Gwyn bendigeid Annwn, faghaim , soupira-t-il,
avant de me le traduire : « Terre bénie d’Avallon, adieu. »
Un regard perdu envahit soudain ses vieux yeux larmoyants,
et il ajouta à voix basse, pour lui-même davantage que pour moi :
— Il ne nous reste que la fierté du souvenir… celui de
notre Vingtième Légion Valeria Victrix, l’une de ces quatre puissantes
légions qui soumirent et civilisèrent ces contrées. Et dire qu’aux jours
glorieux de la Vingtième, du temps de la grandeur de l’Empire, on pouvait
voyager en toute sécurité des îles de l’Étain jusqu’aux ports du Poivre, en
Orient, et entendre parler en latin tout le long du chemin !
Il se remplit une autre corne de vin, et se releva vers moi
pour dire :
— Iwch jy nghar, Caer Thorn. Tu es né trop tard,
comme nous.
Et il éclusa sa corne.
— Mais tu ne bois pas, gamin ! déplora Wyrd dans
un hoquet, comme il nous rejoignait, après avoir raccompagné Paccius à la
porte, lequel nous avait salués du poing levé avant de sortir. Tu vas finir par
t’endormir, à écouter les réminiscences de deux vieux soldats comme nous.
Rentre te coucher bien au chaud dans le baraquement. Mais avant… Tiens, c’est
pour toi.
Il tira sa bourse de sa ceinture, et levant ma main,
renversa sur ma paume une considérable somme de monnaies diverses, des pièces
de cuivre, de laiton, des pièces d’argent, et même une en or.
— Que voulez-vous que je fasse de tout ça, fráuja ?
demandai-je.
— Ce que tu voudras. C’est ta part de l’argent des
fourrures que nous avons rapportées.
— Quoi ? m’exclamai-je, mais je n’ai rien fait qui
mérite tout cela !
— Slaváith. C’est moi le maître. Hic… Toi, tu es
l’apprenti. Je suis seul juge des services
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