Thorn le prédateur
arbres… ou ne fassent
éclater le métal de la gourde.
Il va de soi que toutes nos conversations ne se rapportaient
pas à son enseignement et à mon apprentissage… ni à mes péroraisons, dont il se
plaignait si fréquemment. Assez souvent, nous discutions de choses plus
futiles. Je me souviens comment, une fois, il me demanda comment j’en étais
venu à ne porter qu’une lettre en guise de nom. Je lui expliquai que lorsque
les moines de Saint-Damien m’avaient découvert, ils n’avaient trouvé sur moi
que cette simple rune, þ, inscrite sur les langes qui m’emmaillotaient.
— Je suppose, avançai-je, que cela pouvait être
l’initiale de Théodebald, Theudis, ou quelque chose de ce genre.
— Je dirais plutôt Théodoric, affirma Wyrd. C’était un
nom alors assez fréquemment attribué aux nourrissons nés en Occident, parce que
Théodoric le Balthe, le roi des Wisigoths, venait de mourir en héros dans la
plaine des Champs Catalauniques en combattant les Huns. Il fut de plus remplacé
sur le trône par un autre Théodoric, son fils, qui régna avec sagesse et fut de
ce fait très admiré.
Je ne répondis rien. J’avais entendu parler de ces glorieux
monarques, mais je voyais mal ma mère dénommer son jeune mannamavi d’après un roi.
— De nos jours, quelque part dans l’Est, poursuivit
Wyrd, il existe un autre Théodoric dénommé Strabo, roitelet d’une partie des
Ostrogoths, dont le nom fait référence à son strabisme. Son sobriquet usuel
étant « Théodoric le Louche », je doute que beaucoup de parents
fassent à leur bébé l’honneur d’un tel patronyme. Mais il y a encore un
Théodoric, gamin, sensiblement de ton âge… Théodoric l’Amale. Son père, son
oncle, son grand-père et tous ses lointains ancêtres ont sans doute été rois
des Ostrogoths.
C’était la première fois que j’entendais prononcer le nom du
Théodoric auquel ma vie allait être si mêlée par la suite. Mais n’étant pas un
diseur de bonne aventure, ni l’une de ces haliuruns dotées de pouvoirs
prophétiques, je n’écoutai que d’une oreille distraite ce qui suivit :
— Actuellement, ce jeune Théodoric est otage dans le
palais impérial de Constantinople, comme garantie que son père et son oncle,
tous deux rois, ne rompront pas la paix régnant dans l’Empire d’Orient.
Heureusement pour ce jeune homme, être otage chez l’empereur Léon est
relativement plus doux que d’être, par exemple, celui des Huns. J’ai entendu
dire que Théodoric a été élevé avec tous les privilèges accordés au fils d’un
Romain possédant la distinction de gloriosissimus patricius. On dit que
c’est l’un des favoris de la cour, et qu’il excelle autant dans le domaine de
la culture, de l’apprentissage des langues, que dans celui des exploits
sportifs. Aucun doute que dès qu’il en aura l’âge, il deviendra à son tour roi
des Ostrogoths. Et probablement une nuisance pour l’Empire romain.
Peut-être – qui sait ? – son nom sera-t-il alors donné à des
générations d’enfants.
18
Lorsque nous arrivâmes dans la cité de Constantia [61] ,
nos chevaux avaient la selle tellement surchargée de hautes piles de peaux que
nous avancions à pied, les tirant par la bride. Nous avions remonté le Rhenus
depuis Basilea, prélevant au passage toutes les peaux des animaux à fourrure
qui s’étaient présentés. C’étaient pour la plupart de petits animaux, hermines,
martres ou putois, tués le plus souvent avec ma fronde, car une flèche, en
trouant leur fourrure, l’aurait rendue impropre à la vente. Wyrd avait
cependant utilisé son arc hunnique pour abattre trois ou quatre carcajous, et même
un lynx. Un soir, au crépuscule, nous découvrîmes ce grand et élégant animal
tacheté imprudemment perché sur un arbre. Il était du reste en train de nous
observer, espérant peut-être bondir sur le juika-bloth installé sur mon
épaule. Je fis un geste pour empêcher Wyrd de tirer, mais sa flèche était déjà
partie.
— Vous auriez dû le prendre vivant, lui fis-je
remarquer.
Et je lui fis part de l’histoire qu’un paysan m’avait jadis
racontée.
— Ignorante superstition ! grogna Wyrd avec un de
ses reniflements de mépris. Le lynx n’est en rien le fruit du croisement d’un
loup et d’un renard. Tu peux le voir par toi-même, non ? Ce n’est autre
qu’un grand cousin du chat sauvage. Quant à produire des pierres de lynx ou
autres gemmes plus ou
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