Thorn le prédateur
suspendu dans le vide. Mon juika-bloth, alors assoupi sur mon épaule, fut lui aussi projeté en l’air et s’y
maintint… ce que bien sûr je ne pus faire. Le cheval s’arrêta un peu plus loin,
redevenu en un instant aussi calme qu’il venait d’être explosif, et il tourna
la tête vers moi, comme pour prendre de mes nouvelles. Mon juika-bloth me regarda, lui, d’un air accusateur, et tournoya en cercles concentriques
au-dessus de moi, tandis que Wyrd, tirant les rênes, se moquait de moi à gorge
déployée.
— Qu’ai-je encore fait de mal, cette fois ? fis-je
plaintivement, frottant mon dos endolori et me remettant sur pieds avec
raideur.
— Rien de spécial, répondit Wyrd, riant toujours. Mais
par le cuir lacéré de saint Barthélémy, quelque chose me dit que tu seras plus
attentif à l’avenir. Jette un coup d’œil, gamin, à ce rayon de soleil
traversant la route à l’horizontale, assez bas sur le chemin. Souviens-toi bien
qu’un cheval aura tendance à sauter par-dessus un tel obstacle, qui semble lui
barrer le chemin. Je pense d’ailleurs qu’il serait temps que tu apprennes à
sauter.
Aussi, les jours suivants, dès qu’un arbre abattu se
présentait sur notre chemin dans une position favorable, Wyrd pressait son
cheval à le franchir d’un bond, m’encourageant à faire de même avec Velox. Ce
furent d’abord de fins arbrisseaux allongés bas sur la piste, puis de plus gros
troncs d’arbres affleurant à des hauteurs supérieures. Mais presque à chaque
essai, Wyrd me morigénait :
— Ne, ne, ne ! Au moment où le cheval se
lance pour son saut, tu dois te reculer bien en arrière sur ta selle. Cela
soulage de ton poids l’avant-train de l’animal au cours de son ascension.
— J’essaierai de faire mieux, promettais-je.
Et je fis mon possible, m’inclinant comme il convenait à
chaque saut, jusqu’à ce que Wyrd m’accordât enfin son satisfecit. Mais
cette manœuvre continuait de me poser problème, et je ne m’y sentais guère à
l’aise… pas plus que mon cheval, quelque chose me le disait bien. Nous
profitâmes donc d’occasions favorables pour nous éloigner un peu de Wyrd afin
de pratiquer en privé différents modes de sauts à diverses hauteurs, et finalement,
je trouvai une position qui me semblait à la fois plus gracieuse et plus
pratique, choix qui semblait également satisfaire ma monture. Quand nous eûmes
peaufiné l’exercice à la perfection, nous en fîmes la démonstration à Wyrd.
— Qu’est-ce que c’est que ça ? fit-il, à la fois
stupéfait et contrarié. Tu t’inclines vers l’avant en sautant ? Très
mauvaise position, ma foi.
— Ja, fráuja, vous me l’avez dit. Mais cela
semble permettre à Velox de se lancer avec plus de puissance dans
l’arrière-train, mon poids étant alors reporté vers l’avant. Et dans le même
temps, ma position inclinée a l’air de lui donner plus d’élan.
— Vái ! s’exclama Wyrd avec un étonnement
moqueur. Voilà plus de deux cents ans que la cavalerie romaine enseigne à ses
recrues et ses chevaux comment sauter proprement, mais tu sais mieux qu’eux,
hein ?
— Ne, fráuja, je n’ai pas la prétention de
savoir quoi que ce soit. Mais quelque part, je sens que c’est mieux
ainsi, tant pour moi que pour Velox.
— Vái ! Tu parles pour le cheval, en plus,
c’est ça ? Qui sait… peut-être que l’un de tes parents qui t’ont abandonné
à la naissance était un centaure, qu’en dis-tu ?
— Tout ce que je puis dire, c’est que je me sens en
communauté d’esprit avec mon cheval, tout comme le cas s’est produit avec mon juika-bloth. D’une certaine façon, nous savons… sans avoir besoin de mots…
Wyrd me considéra du coin de l’œil, puis laissa glisser son
regard vers l’aigle perché sur mon épaule, et sur mon cheval. Et il haussa les
épaules.
— Soit, si ça te convient mieux… ainsi qu’à Velox. Mais
seulement pour vous deux, alors. Que je sois damné dans la Géhenne éternelle si
je dois changer mes habitudes de toute une vie, à cet âge avancé.
J’eus une autre occasion de mettre à l’épreuve le sens des
règles de Wyrd et son respect inné des traditions équestres validées par le
temps. J’étais en train de m’entraîner, sous sa tutelle attentive, à un combat
simulé à cheval, frappant à l’aide de mon glaive court des buissons ennemis et
autres branches d’arbres hostiles, tandis que sous mes hanches,
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