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Thorn le prédateur

Thorn le prédateur

Titel: Thorn le prédateur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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en
avala sans résistance, alors qu’il aurait auparavant refusé avec dégoût
d’ingurgiter quelque chose d’aussi malodorant. Je poursuivis à mon tour le même
traitement, hélas sans succès apparent. Je forçai même en secret l’ouverture du
lourd bouchon de cuivre couvrant la fiole de cristal dont je n’avais jamais
mentionné l’existence à Wyrd, et invitai sans états d’âme l’aigle à goûter un
peu du précieux lait de la Vierge. Il me couva simplement de derrière ses
membranes translucides d’un regard mi-résigné, mi-compatissant, et dédaigna mon
offre.
    À mesure que le juika-bloth s’affaiblissait, et que
son plumage jadis poli et brillant tendait à devenir de plus en plus terne et
éteint, je ne cessais de me faire des reproches, parfois même à voix
haute :
    — Ce fidèle oiseau a toujours essayé de faire de son
mieux pour moi, et voilà que je le récompense en lui faisant du mal… C’est mon
ami que je suis en train de faire mourir.
    — Arrête tes pleurnicheries, trancha sèchement Wyrd.
Jamais un aigle ne se comporterait comme tu le fais. Il te mépriserait, s’il le
pouvait. Gamin, tout le monde doit un jour mourir de quelque chose. Un raptor est comme toutes les créatures, et sait que même lui ne pourra vivre
éternellement.
    — Mais c’est ma faute, insistai-je. Si je n’étais pas
venu déranger son mode de vie ordinaire, il n’aurait mangé que des choses
saines !
    J’ajoutai, non sans amertume :
    — J’aurais pourtant dû savoir, de par ma propre
expérience, qu’il n’est jamais bon de troubler la nature d’autrui…
    Wyrd me regarda éberlué, et ne répondit rien. Il mit sans
doute cette remarque sur l’égarement passager qu’engendrait ma douleur.
    — Si le juika-bloth avait dû mourir,
continuai-je, il aurait dû le faire en combattant jusqu’au sang. C’est cela, sa
nature. Ou mourir en vol, foudroyé dans son élément, là où il se sentait
heureux et chez lui.
    — Ça, intervint Wyrd, c’est encore possible. Prends
cela (il me tendit son arc, une flèche déjà armée) et lance ton oiseau en
l’air.
    — Je le ferais, oui…, fis-je démoralisé. Mais ,
fráuja, je ne me suis jamais entraîné avec cet arc. Je serais incapable
d’abattre un oiseau en plein vol.
    — Essaie. Fais-le maintenant. Pendant que ton ami peut
encore voler.
    J’inclinai la tête vers mon épaule jusqu’à frotter la joue
sur le plumage de mon aigle ; il fit un mouvement pour venir se blottir
contre mon visage. Puis j’élevai la main, et pour la première fois depuis de
longs jours, il sauta de sa propre initiative sur mon poing. Je croisai une
dernière fois ce regard naguère si perçant, aujourd’hui si voilé, et l’animal,
de toute la fierté et la vigueur dont il était encore capable, le soutint. Je
fis un adieu silencieux au seul être vivant qui me liait encore au Cirque de
Baume, à ma jeunesse. Et je crois que l’oiseau me dit lui aussi au revoir, à sa
façon.
    Je lançai ma main vers le ciel et le juika-bloth s’envola. Il ne bondit pas avec entrain vers les hauteurs, de cette manière
enjouée dont il avait toujours été coutumier. Cette fois, il fouetta
anxieusement l’air de ses ailes, comme si ces dernières n’étaient plus très
sûres de parvenir à le ressentir, le mesurer et le maîtriser comme avant.
Pourtant, il le fit vaillamment, sans s’éloigner de moi comme s’il prenait la
fuite : il monta droit devant moi, afin de rester à portée d’oreille pour
m’obéir et revenir immédiatement, au cas où je le rappellerais. Mais je ne le
fis pas, et le perdis de vue, car mes yeux s’étaient emplis de larmes.
    À l’aveugle, j’élevai l’arc et laissai filer la flèche.
J’entendis l’impact sourd et feutré du choc, puis le son triste et doux de son
corps transpercé tombant sur le sol. Je n’avais pas visé ; j’en aurais été
incapable. Je ne le sais que trop bien, c’est le juika-bloth qui avait
volé à la rencontre de ma flèche. À dater de ce jour, devant cet exemple de
courage, je me promis une chose : quand mon heure se présenterait, je
m’efforcerais de l’affronter avec le même panache.
    Un moment après, lorsque je pus enfin parler, je murmurai à
l’oiseau :
    —  Huarbodáu mith gawaírthja.
    Et à Wyrd :
    — Cet aigle mérite l’enterrement d’un héros.
    — On n’enterre que les animaux apprivoisés,
grommela-t-il, tels que les soldats, les femmes et les chrétiens. Ne,

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