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Thorn le prédateur

Thorn le prédateur

Titel: Thorn le prédateur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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qu’il devrait se séparer de son épouse et de sa famille. Est-il besoin
de le préciser, nombre de clercs de tous rangs avaient délibérément choisi
d’ignorer et la tradition du célibat, et le précepte de saint Augustin selon
lequel « Dieu hait la copulation ». Ils entretenaient donc, toute
leur vie durant, des femmes et des concubines par cohortes, et avaient engendré
d’innombrables « neveux » et « nièces ».
    La plupart des moines de Saint-Damien étaient originaires
des régions burgondes environnantes ; mais nous avions aussi de nombreux
Francs et des Vandales, quelques Suèves, et plusieurs représentants d’autres
nations germaniques. Tous, dès leur entrée au monastère, abandonnaient leur nom
de la Vieille Langue pour adopter les prénoms de saints, de prophètes, de
martyrs ou de vénérables évêques latins ou grecs du passé. Ainsi, tel homme qui
s’était appelé Kniva-l’Œil-en-dedans devenait Frère Commode, et
Avilf-les-Gros-Bras se muait en Frère Addian.
    Comme je l’ai dit, chaque moine avait une tâche à accomplir
ou un labeur journalier à fournir, Dom Clément faisant de son mieux pour
attribuer à chacun l’emploi le plus proche de celui qu’il avait exercé à
l’extérieur. Ainsi notre infirmier, Frère Hormisdas, avait été jusqu’alors le
médecin attitré d’une noble maison de Vesontio [12] .
    Frère Stéphane, ex-intendant d’une riche propriété, était
désormais le cellarius, en charge de toutes nos réserves et provisions.
    Les moines possédant une maîtrise suffisante du latin
devenaient précepteurs ou copistes en manuscrits et codices au scriptorium de l’abbaye, la tâche d’enlumineur desdits ouvrages étant réservée à ceux ayant
fait montre d’un certain talent artistique. Les frères sachant lire et écrire
la Vieille Langue se retrouvaient en charge du chartularium (le
cartulaire), dans lequel on mettait à jour les registres de Saint-Damien, mais
aussi ceux des mariages, des naissances et des décès, ainsi que les hypothèques
foncières et autres donations de terres opérées entre résidents laïcs de la vallée.
Frère Paul, adepte étonnamment doué de la pratique et l’écriture des deux
langues, était le secrétaire particulier de Dom Clément, et il gravait à la
vitesse de la parole sur des tablettes de cire toute la correspondance que lui
dictait l’abbé, calligraphiant ensuite soigneusement ses missives sur vélin.
Les terres de l’abbaye comprenaient des prés, des jardins potagers, des granges
et divers enclos emplis de volailles, de cochons ou de vaches laitières,
confiés aux moines qui avaient été d’anciens fermiers. Mais le monastère
jouissait également, dans la vallée comme à l’extérieur de celle-ci, de vastes
étendues de champs cultivés, de vignes, de vergers ainsi que de pâtures pour
moutons et bovins. Contrairement à la plupart des autres monastères, Saint-Damien
ne possédait pas d’esclaves, mais employait les paysans locaux pour cultiver
ses terres et prendre soin de ses troupeaux.
    Même le plus obtus de nos frères, un pauvre bougre dont la
tonsure surmontait une tête presque conique, s’était vu confier quelques tâches
simples dont il s’acquittait avec une grande fierté, fort satisfait de
lui-même. Auparavant nommé Nethla Iohannes sans doute en raison de la forme de
son crâne – ce nom signifiant « L’Aiguille, Fils de
Jean » –, il avait choisi de se doter du patronyme encore plus
ridicule de Joseph. J’ai dit « ridicule », parce que nul moine,
clerc, monastère ou église ne s’est jamais donné le nom de Saint-Joseph, ce
personnage étant universellement considéré comme le saint patron des cocus. Les
dimanches et autres jours de fêtes religieuses, notre bon Frère Joseph avait
pour tâche d’agiter les sacra ligna, de lourdes crécelles de bois dont
le cliquetis conviait les fidèles aux offices religieux célébrés dans notre
chapelle. Les autres jours, notre homme jouait les épouvantails au milieu des
meules de foin, à remuer ses instruments pour chasser les charognards.
    Durant mes premières années, les travaux que l’on me confia
n’étaient guère moins serviles, mais ils présentaient au moins l’avantage
d’être suffisamment nombreux et variés pour n’être point trop ennuyeux. Tantôt,
assigné au scriptorium, j’étais chargé de l’ultime polissage des
feuilles de vélin encore fraîches à l’aide d’une fourrure de taupe

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